Je tente de vous prouver que ma vie est plus intéressante que la vôtre... Sans succès !

vendredi 26 août 2011

Amour, Divan et Cheez Whiz: l'intégral


  
Amour, Divan
et
Cheez Whiz




« Chaque acte de la vie est un petit drame.
Et le tout à la fin n’est qu’une comédie »

Sacha Guitry


Chapitre 1

LA PRISE DE LA BASTILLE




La vie c’est le genre de chose qui vous attend
au coin de la rue avec une pelle.
- Snick




-    Ramasse tes affaires pis crisse ton camp !
Quelques secondes plus tôt, j’essayais de déverrouiller, en silence, ma porte, mais les quelques verres que j’ai bus en chemin ne m’ont pas aidé. 
Deux pas plus tard, mes pieds se sont emmêlés dans un objet qui habituellement devait sûrement se trouver ailleurs.  C’est alors que ma face a été irrésistiblement attirée par le sol.  Pendant que ma main gauche essayait d’agripper la patère qui changeait continuellement de place, mon coude droit a défoncé la petite table qui nous sert de porte-clés.  Le tout dans un vacarme à réveiller une marmotte avant le mois de février. 
Je suis étendu de tout mon long sur le plancher du vestibule de l’appartement.  Félicitations Phil pour ton entrée silencieuse !  J’espère que je n’ai pas réveillé Karine.  La lumière du salon s’allume.  Karine est là.  Bon, il y a au moins ça, je ne l’ai pas réveillée…
-    Tes valises sont dans l’entrée, c’est à soir que tu t’en vas !
-    Je m’en vas où ?
-    Où tu veux !
-    Peux-tu essayer d’être moins clair, s’il te plaît ?
-    T’es bien avec tes chums, retournes y donc !
Depuis combien de temps est-ce que j’ai quitté l’appartement ? Deux siècles !?  J’ai sûrement manqué un coup d’état, une guerre atomique, est-ce que le Reform Party est revenu et a pris le pouvoir ?  Dans ma tête, mon bon sens slalome entre les bouteilles de bières et les shooters de Téquilla.
Je vais rajouter quelque chose, lorsqu’une armoire à glace rousse sort de la chambre, de MA chambre !  De plus, elle porte ma robe de chambre.
-    Il y a un problème, mon petit lapin ? (il ne s’adresse sûrement pas à moi)
-    C’est mon ex, y veut pas partir ! (Son ex ?!?, depuis quand ?)
Le géant s’approche de moi.  Je le regarde droit dans les yeux, mais pas trop, ça me donne mal au cou.
La seule phrase qui me vient en tête est « Si vous n’allez pas à la montagne, la montagne viendra à vous ».  Là, elle s’en vient, pis en courant à part de ça !
Les vapeurs d’alcool ont disparu d’un coup sec.  Avec une Montagne comme ça à la sortie de chacun des bars de Montréal, il y aurait beaucoup moins de gens qui se feraient prendre en état d’ébriété.
Je cherche des yeux un abri nucléaire ou quelque chose du genre.  Aucune sortie à l’horizon.  En fait, il y en a une, mais elle est située de l’autre côté de la Montagne, qui vient juste de s’installer entre la porte et moi et il attend que je nettoie le plancher.  Disons que le balai est déjà sorti.  J’attrape donc les deux sacs à poubelles que Karine m’a si gentiment préparés.  Le mastodonte frotte ses mains grosses comme des colonnes de sons.  J’entends déjà le « boum boum » que ça va faire.  Je jette rapidement un coup d’oeil à Karine, elle ne me regarde même pas, elle m’ignore.  Elle a autant d’attention pour moi que j’en aurais pour un questionnaire dans un magazine de filles, du genre : « Préférez-vous d’un homme qu’il soit du style agriculteur poète ou dentiste misanthrope ? ».  Je décide donc de traverser la ligne de mêlée.  Je n’ai pas fait deux pas que toute l’équipe adverse me tombe dessus.  La Montagne me lance à l’extérieur, m’agrippe par le collet et ouvre la porte, ou quelque chose comme ça!
***

   Je fixe bêtement le capot de ma voiture.  Les petits Mexicains qui jouaient du banjo dans ma tête sont partis, sûrement pour l’entracte.  Prendre une décision.  Démarrer ma voiture et me diriger vers un quelque part, le plus loin possible, ou bien retourner à l’intérieur en me convaincant que c’est une blague.  Une crisse de bonne blague.
   Mais qu’est-ce qui a poussé Karine à me jeter ou plutôt à me faire jeter dehors ?  Et surtout que faisait cette Montagne dans MA robe de chambre ?  Non mais je ne lui laisserai pas MA robe de chambre.  Je vais lui montrer à ce gros rouquin que ce n’est pas parce qu’il mesure six pieds… de plus que moi, qu’il me fait peur. 
J’ai toujours détesté les gars qui mesuraient leur puissance en millilitres de sueur.  Pour eux, le mot culture ne veut rien dire s’il n’est pas accompagné du mot physique.  L’homme est un dieu s’il peut courir dix kilomètres en moins de cinq minutes avec un poids de cent vingt livres sur les épaules, en sifflant les jolies filles qu’il croise, et qu’au fil d’arrivé il est capable de roter plus fort qu’un crapaud.
Je détestais déjà les colosses, mais lui encore plus.  Il n’a pas le droit de porter MA robe de chambre et encore moins de coucher dans MA chambre et… à bien y penser encore plus moins avec MA blonde.  Je sens le courage et la force dans tous mes membres.  Le sang qui coule dans mes veines ranime mes instincts de tueur.  Je vais le démolir.  Il va se le faire dire, cette Montagne.  Je suis prêt à affronter Belzébuth, Lucifer et le Diable, tous en même temps, s’ils osent se présenter.
J’entre sans cogner (c’est chez nous quand même).  Karine est dans les bras de la Montagne.  Elle semble heureuse.   Ce qui me fait encore plus chier.       
- J’m’en viens chercher ma robe de chambre mon gros tabar...
La Montagne me fixant de ses yeux noirs, fait craquer ses doigts dans un bruit de cercueil qui se ferme.  J’ai la mauvaise impression qu’il a grossi dans les cinq dernières minutes.  Mes instincts de tueur sont soudain prêts à déménager dans le quartier gay.
-    …mais… euh…  tu peux la laver avant !
Sonnez la retraite !  Tous aux abris !  Je cours me réfugier dans ma voiture.  Si je ne l’ai pas démoli, c’est bien parce que je ne voulais pas tacher MA robe de chambre de son sang… et peut-être un peu sûrement beaucoup du mien.
***

J’ai roulé pendant quelques heures à travers les rues de Montréal.  Dans la radio, les Beatles jouent She loves you.  Si on enlève la musique, le « She loves you, yeah, yeah, yeah » prend un ton plus… ironique.  « Elle t’aime, ouais, ouais, ouais »   Et voilà, même le Fab Four se met contre moi.
***


Chapitre 2



LÀ où ÇA FAIT MAL!







Anything that can go wrong, will go wrong !
-Murphy
   Tranquillement, j’ouvre les yeux.  Devant moi, il y a un joli maillot rouge rempli de tout ce que Pamela Anderson a de talent.  Je ne suis plus certain si je rêve les yeux ouverts ou si je pense que je suis réveillé les yeux fermés, ou encore si je dors les yeux fermés en pensant que je rêve que j’ai les yeux ouverts. (Quoi ?!?)  Cette photo me dit quelque chose… je suis chez Georges, mon ancien coloc.  C’est une gigantesque affiche qu’il possède depuis le secondaire.  Pour lui, cela n’a pas moins de valeur qu’un Picasso, un Dali ou un double Big Mac extra bacon.  Demander à Georges de renier son affiche de Pamela, ce serait comme demander à un joueur de hockey de gagner un concours de dictée.
   Je suis couché sur le divan rouge que l’on avait acheté ensemble en entrant au Cégep.  C’est d’ailleurs le seul meuble qui fut acheté.  Le restant, on l’avait « emprunté » à nos parents.  En regardant autour de moi je m’aperçois que tout ce qui avait été empruntés, dix ans auparavant, est encore là, à la même place.  Rien n’a bougé, sauf qu’aujourd’hui, il y a deux sacs à poubelles dans le milieu du salon. 
- Où est-ce que je pose vos bagages, Monsieur ?
***

   Dans la cuisine, j’entends la cafetière qui fait un bruit de… machine à café.  Georges est là.  Il mange deux toasts au cheez whiz.  Je connais ce gars depuis plus de dix ans et je ne l’ai jamais vu manger autre chose pour déjeuner que cette mélasse aux couleurs de camions de la construction.
-    Salut Georges !
-    Salut Phil, ça va ?
-    Oui.  Merci de m’héberger, c’est juste le temps de me revirer de bord.
-    Y’a pas de « prob »,
C’est toujours comme ça avec Georges, il n’y a jamais de « prob ». 
Quand je suis arrivé la veille à quatre heures du matin, il ne m’a même pas posé de question.  Il s’est contenté de me sortir un oreiller et une couverture et de me montrer le divan.  C’est comme si j’avais toujours vécu là; que j’étais seulement sorti pour aller chercher du lait au dépanneur et que j’avais oublié mes clés.
***
   Georges m’a dit avant de partir que l’on ferait le point à son retour du travail et que si j’avais envie de faire la vaisselle de me laisser aller.   J’ai donc décidé d’utiliser ma journée pour me mettre au point et pour ne pas me laisser aller dans la vaisselle.
Après un copieux déjeuner (Cheez whiz sur pain blanc à l’eau), je tente d’appeler Karine.  C’est la Montagne qui répond.  J’essaye de changer ma voix pour qu’il ne me reconnaisse pas.  Le gros serait bien capable de tirer sur le fil de téléphone pour que je me pète la tête sur le mur.
-    Allô, est-ce que Karine est là ?
-    C’est son Ex, ça ?
-    Euh… Non c’est son… cardiologue, j’ai cru entendre qu’elle avait un problème de coeur.
-    OK,  je vous la passe docteur.
C’est donc vrai.  Plus ils sont gros, plus ils sont nonos !
-    Oui allô !
-    Karine, c’est moi.
-    Je n’ai rien à te dire!
-    Raccroche pas s’il te plaît.
Nous parlons longtemps, au moins… quarante-deux secondes.  Elle me dit qu’elle ne m’aime plus (je m’en doutais), elle trouve que je suis trop souvent avec mes chums (j’avais deviné) et en plus je ne sais pas comment la satisfaire sur le plan sexuel (ça, je vous jure que je n’étais pas au courant !).  Je lui pose ensuite des questions sur la Montagne, elle me répond qu’il sait, LUI !
Alors en plus d’avoir le coeur brisé, j’ai maintenant l’orgueil qui vient d’attraper le scorbut!
« Il sait lui ! »  Il sait lui.  Est-ce qu’il sait lui, comment Karine aime manger ses œufs ?  Est-ce qu’il sait lui, comment elle adore se faire réveiller par des petits becs à l’orée de la nuque ?  Est-ce qu’il sait lui, qu’elle a un sale caractère ?  Est-ce qu’il sait lui, qu’elle est très indépendante ?  Est-ce qu’il sait lui, qu’elle est un peu agace lorsqu’elle prend de la boisson ?  Est-ce qu’il sait lui, que Karine n’est pas parfaite et surtout que c’est comme ça que je l’aime ?  J’aimais Karine.  Je pensais que Karine m’aimait.  Karine m’aimait.  On a deux vérités et un mensonge, on passe au vote ! 
Quand tu sais qu’une relation va nulle part, c’est simple, il suffit juste de savoir quel des deux membres du couple fera les premiers pas et on passe à autre chose.  Mais parfois, dans un couple en sursis, il n’y a qu’un membre du couple qui sait ce que veux dire le mot « sursis », tandis que l’autre se nourrit d’espoir, de rêves, de projets.  Alors quand le fil est coupé, ce n’est pas juste le mobilier qui s’en va mais aussi, l’espoir, les rêves et les projets.
Moi, je me nourrissais de tout ça… jusqu’à, il y a quarante-deux secondes.  Karine m’aurait frappé dans la face avec une pelle et ça m’aurait presque fait moins mal.  De plus, elle en a sûrement parlé à sa chum de fille Sylvie, dit la messagère. Elle, sa maxime ce n’est pas « je pense donc je suis », c’est plutôt « je l’entends donc je le répète…sans penser ce que je dis ».  Demain matin, le quartier va sûrement organiser une tombola pour le piteux que je suis et, en après-midi, j’aurai ma photo sur toutes les chaînes de télévisions.   « Mesdames et Mesdemoiselles, il y a présentement dans votre quartier un dangereux incompétent point de vue sexuel.  Si vous êtes âgées entre vingt et trente ans veuillez éviter cet homme, et ce, pour des raisons de plaisir personnel. »
Karine ne m’aime plus et ce n’est même pas pour une raison dont je me doutais.  Si au moins elle m’avait parlé de la pinte de lait vide resté dans le frigo, du tube de dentifrice toujours ouvert ou des miettes de chips dans le divan.  Non elle me parle d’incompatibilité sexuelle !  Donne-moi au moins une raison où je peux répondre par « Je m’excuse ».
***

   Je m’installe devant le téléviseur de Georges, et je réfléchis à ce qu’elle m’a dit une bonne partie de la journée.
« Mauvais baiseur ! »
Je n’irai pas travailler aujourd’hui. 
« Avec lui, on peut le faire plus que deux fois »
Je me refais des toasts au Cheez-Whiz pour dîner.
« Il est capable de me faire jouir, LUI !  »
J’écoute Météomédia toute la journée. 
« Avec lui je n’ai pas besoin de faire semblant» 
Ils annoncent des nuages… beaucoup de nuages !
***

   Lorsque Georges revient de son travail, je suis quelque part entre les bras de Morphée et ceux de la Vénus de Milo.   Mon nouveau coloc de fortune a apporté de la pizza.
-    T’es pas allé travailler.
-    Non.
-    Ah…
Un lourd malaise s’installe.  J’ai l’impression qu’un berger a décidé de faire passer son troupeau de moutons à ce moment là entre Georges et moi et que nous les regardons se dandiner avant de continuer à parler.  Je sais qu’il a plus envie de savoir ce que Karine m’a dit que de manger sa pizza.  Connaissant Georges, je peux vous dire, pour que quelque chose l’intéresse plus qu’une pizza fromage extra bacon….
-    Pis, comment qu’a prend ça ?
-    Bof… mieux que moi en tout cas !
-    Non, mais qu’est-ce qu’a dit?
Georges ouvre la boîte de sa pizza et commence à manger son extra bacon.  Je ne sais pas quoi répondre.  Je fixe le téléviseur éteint.
-    Es-ce qu’a t’a dit qu’a t’aimais pus ?
Je lui fais signe que non, sachant très bien que : oui!
- C’est tu parce qu’a l’a rencontré un autre homme ?
Je ne veux surtout pas lui parler de la Montagne.
-    J’espère qu’a t’a pas sorti que t’es trop souvent avec tes chums !
Non, mais il est fort !  Georges, avec son air un peu niais, n’a pas l’air d’un Dom Juan, mais il connaît la psychologie féminine.  C’est peut-être ça la base.  
-    En tout cas, pour moi la pire affaire qu’une fille pourrait me dire, après m’avoir laissé, ce serait que je ne sais pas baiser !
Monsieur, veuillez s’il vous plaît relever un petit peu plus le menton…  Bang !
Et vlan ! Droit dans les dents ! 

***



Chapitre 3


Le fond du baril






L’amertume est une chose que l’on retrouve que
chez les poètes, les communistes et les radis.
-          Snick



   Elle est là.  Pas très loin.  Elle attend que je vienne la chercher.  Elle me supplie, je la chatouille.  J’essaie de la toucher mais elle s’éloigne toujours un peu plus.  Il n’y a rien à faire.  Elle s’approche, je la sens, un peu plus près et voilà, je l’ai.  Observons ce phénomène de la nature à la lumière.  C’est une des plus grosses crottes de nez que je n’ai jamais vues.  Un véritable spécimen. 
   Je suis devenu une patate de divan.  Mais je ne suis pas une belle patate en robe de chambre (de toute façon c’est la Montagne qui l’a) mais une patate pilée en pantalon de jogging blanc.  Une patate qui vit de bière, de cheez whiz, de bière, de télé-horaire, de bière et de pizza. Mon taux d’alcoolémie descend rarement plus bas que la température, et mon taux de cholestérol augmente à la vitesse d’un missile « Patriot » lancé par les États-Unies en direction de Bagdad.
   Je ne me suis pas changé depuis deux mois, dix-huit jours, douze heures et trente-trois minutes.  J’ai une barbe de deux mois, dix-huit jours, douze heures et trente-huit minutes.  (Je me suis fait la barbe avant de m’habiller.) Et je n’ai pas vu les rayons du soleil depuis au moins deux mois, dix-huit jours,…
   Le divan du salon s’est transformé.  Il a parfaitement épousé la forme de mon fessier.  Georges avait transformé son bureau en presque chambre pour moi, mais j’y dors jamais.  Dans l’appartement, je me déplace du divan au toaster, du toaster au divan, du divan à la salle de bain (c’est parce que j’y suis obligé), de la salle de bain au divan, du divan au frigo et finalement du frigo au divan.  Mes seuls efforts intellectuels consistent à me remémorer qui est la maîtresse de quel amant dans les soaps américains et à trouver chaque jour des trucs pour avoir à me lever moins souvent que la veille.
La décadence, quoi !  Même les Romains étaient moins décadents que moi.  Si Jules César me voyait, il m’expédierait avec le premier bataillon pour la Germanie Supérieure, « où le climat y est rude et les barbares t’apprendront les bonnes manières. »
J’aimerais faire semblant que le fait que Karine sorte avec un gros imbécile, roux de surcroît, ne me dérange pas.  Mais je suis mauvais menteur.  Juste le fait de voir des amoureux à la télévision fait apparaître un champ de boutons sur mon front. 
Georges ne m’aide en rien sur ce point là.  Toutes les fins de semaines, il réussit à ramener des filles à la maison.  Je ne connais pas son truc, mais il doit sûrement en avoir un.  Il s’habille dans les friperies, il a trente livres de trop, il fume le cigare comme un dictateur cubain, il est fonctionnaire; et les filles sont à ses pieds !  Ne me demandez pas ce qui les attirent, j’en ai aucune idée.  A voir les filles défiler dans sa chambre et surtout à les entendre « dormir », je suis certain que Georges est un véritable agent secret 007.  Bien sûr, il n’a pas le tuxedo, mais il travaille là-dessus.  Si un jour je décide de sortir de cet appartement, ce qui n’est pas encore assuré, c’est certain que je vais suivre mon coloc dans ses sorties nocturnes.
***
-    Oui, je sais, Monsieur Bélanger.   Quand je serai prêt à retourner travailler...
Monsieur Bélanger est le directeur de la station radio où je travail…lais comme scripteur.  Quand j’ai arrêté de travailler, il ne m’a même pas poser de question, « prend ton temps ! ».  Il faut dire qu’on n’était pas en période de BBM.  Mais là, on sent que la saison des sondages s’en vient.  Ça fait quatre fois qu’il m’appelle cette semaine.
-    J’aurai toujours une petite place pour toi, Phil.
-    Merci beaucoup !
-    Juste une petite question, Phil.
-    Oui ?  C’est vraiment la saison des sondages…
-    Pourquoi est-ce qu’elle t’a laissé ?  J’espère qu’elle n’est pas partie avec un autre ?
Je raccroche le téléphone.  Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir savoir ?  Mes chums ont appelé un après l’autre, ils croyaient peut-être que les informations que l’un n’avait pas réussi à m’arracher, je les donnerais aux autres.  Non, mais!  Ils me prennent pour qui ?  La CIA !?!  J’avais décidé de garder ça pour moi.  De toute façon lorsque l’on est étiqueté « mauvais baiseur » par la plus jolie fille du quartier, ce n’est pas le genre de cause pour laquelle ont fait imprimer des t-shirts.
Le téléphone sonne.  Il est deux heures trente-six de l’après-midi, une journée où le soleil s’est levé…  C’est ma mère qui appelle.
-    Allô maman.
-    Allô mon chéri, comment t’a fait pour savoir que c’était moi ??
-    Je ne le sais pas, un flash, bang, comme ça!
-    Alors ça va ?
-    Oui maman.
-    Tu ne penses pas trop à elle ?
-    Non je passe mes journées à figurer comment les producteurs de la boisson Poire William font pour entrer une poire dans la bouteille.
-    Quoi ?!?
-    Ben oui, je pense à elle !  Tout le temps à part de ça.
-    Je m’excuse…
-    M’an, je vais te rappeler, j’ai pas vraiment le goût de parler de ça.
-    On peut parler d’autres choses si tu veux.
-    Ok décide du sujet tu me rappelleras demain, bye.
Pauvre maman, elle est inquiète.  Une mère, même lorsque l’on est rendu majeur et vacciné, reste toujours une mère.  Les efforts de l’accouchement doivent brancher une certaine glande qui commence automatiquement à sécréter de l’inquiétude, de la tendresse et beaucoup d’amour.  C’est certain qu’il y a quelques mères qui ont la glande moins forte que d’autres ou bien qui en ont carrément subi l’ablation en recevant leur chèque d’allocation familiale.  Mais selon moi, quand Dieu a créé la première mère, elle n’était sûrement pas parfaite, mais elle devait beaucoup ressembler à ma mère.   Je l’aime comme ça.  J’avoue que si elle sautait une journée, c’est moi qui appellerais le FBI, la CIA et la police municipale de Amqui. 
-    Phil ??
C’est Georges qui est dans la cuisine.
-    Quoi ?
-    J’aimerais ça te parler d’une rumeur que j’ai entendu de Sylvie, tsé Sylvie la messagère.
Et c’est comme ça depuis deux mois, dix-huit jours et quelques heures… 
***

   L’idée de me suicider m’a même traversé l’esprit.  Mais comme je ne voulais pas sortir de l’appart, j’ai rapidement dû éliminer le pont et le métro.  De toute façon, je suis contre la méthode du métro.  Il y a tellement de matins où je suis arrivé en retard a cause de quelqu’un qui voulait absolument que tout le monde sache qu’il était malheureux, je ne voulais pas bousiller le train-train habituel de centaines de milliers de gens en pleine heure de pointe à cause d’un problème de sexe qui, j’insiste, jusqu’à ce qu'une contre-expertise le confirme, n’en est pas un.
   Je décide d’abord de me pencher sur les options facilement praticables dans le confort du foyer.  Les méthodes par balle et par arme blanche ont été éliminées rapidement.  Question de ménage.  Georges a toujours détesté le nettoyage, je ne lui demanderais certainement pas de mopper mes organes éclaboussés sur les murs.
   Il me restait donc l’asphyxie, la pendaison et les médicaments.  Pour l’asphyxie, je n’ai pas de garage, la cuisinière fonctionne à l’électricité et je n’ai plus de voiture.  J’en avais une, mais Georges l’a vendue. Bien sûr, j’ai eu de la misère à me faire à l’idée, mais, que voulez-vous, quand l’argent ne rentre plus, il faut bien trouver un moyen pour payer les TV-hebdos.
Et je ne suis tout de même pas pour emprunter l’automobile de mes parents pour faire mon dernier voyage.  Mon père n’a jamais voulu me la prêter de toute façon. 
Pour la pendaison, deux solutions.  La corde à linge ou le câble de Vidéotron.  Ce n’est pas vrai qu’ils vont me faire payer trente-cinq dollars par mois pour m’enlever la vie.  Mais j’avoue que pour un supplément de 4,95$, j’ai le canal Vie et là, j’ai vraiment le goût de me suicider ! 
La solution la plus probable : les médicaments.  Après avoir vidé la pharmacie, j’ai devant moi tout ce qu’il y a de plus fort, point de vue « drogues » dans l’appart.  Des Tylenol et des…  Smarties.  Mon gros imbécile de coloc garde dans une bouteille de pilules, des Smarties !  On peut lire sur l’étiquette, inscrit à la main, la posologie suivante : « Prendre deux cachets chaque fois que tu te sens tristounet. »  Sûrement un vestige de son ex, Véronique, la prof de pré-maternelle.  Cette fille avait une collection de mots que l’on essaye d’apprendre aux enfants de trois ans, et qu’ils utilisent dans des phrases qui ne veulent rien dire pour personne, du genre : « Luc va à l’école avec son chien Fido ».  (Ça c’est une vieille phrase car il n’y a plus aucun parent qui donnerait un nom de trois lettres à son enfant, vive les noms composés !)  « J’aime la soupe, car la soupe est bonne » (En cette ère de commandite on dira « j’aime la soupe Chunky, car la soupe Chunky est épaisse ». Elle n’est plus juste bonne, elle est épaisse… l’idée que le publiciste a eu pour les annonces aussi d’ailleurs) et… « Prendre deux cachets chaque fois que tu te sens tristounet. »
Finalement, la seule chose que j’ai tué cette journée là, c’est mon projet de mourir, faute de méthode.  Non mais ils devraient vendre des ensembles tout faits du parfait suicidaire.   Imaginez la pub : « Vous êtes déprimé, vous êtes mal-aimé, vous en avez assez, voici quelque chose, qui va sûrement vous emballer (dans un grand sac noir avec un zipper) et vous aider à en finir avec vos jours !   La compagnie Play School est fière de vous présenter le nouvel ensemble Get Killed by Yourself !  Cet ensemble comprend deux lames de rasoirs, dix pieds de corde, un douze tronçonné, assez de morphine pour tuer un tyrannosaure, un livret comprenant les horaires de métro de votre localité et un photo-montage de votre ex-blonde dans les bras d’un gros roux.  Argent remis si votre satisfaction n’est pas garantie !».
Le suicide…
Sérieusement…  je pourrais le faire. 
Je dis des niaiseries présentement, mais je pourrais rendre concret se désir de meurtre personnel.  J’ai beau écouter, il n’y a rien qui dit en dedans de moi de ne pas le faire, rien qui me dit que la vie vaut la peine d’être vécu, rien que je suis apprécier par plusieurs personnes et bla, bla, bla.  C’est le silence.  Et je m’en crisse.
On dit souvent que le bonheur ne tient qu’à un fil.  Ça explique que la mort soit représenté par la grande faucheuse.  Ma vie pend au bout du fil comme une décoration de Noël oubliée, sur un sapin de Noël qui pourri dans un trou de bouette au mois d’avril.  Il suffirait d’un coup de ciseaux…
Maudit soit ceux qui ont inventé la fibre synthétique qui coûte moins cher et qui est plus résistante.
J’étais heureux et soudain… PAF !  La personne qui avait le premier rôle dans mes projets, dans mes rêves, dans ma vie vient de disparaître.  Comme une grande comédie musicale qui perd son actrice principale à deux heures du spectacle.  Mais dans mon cas, au lieu de jouer dans mon spectacle à grand déploiement, j’ai l’impression que ma star préférait jouer dans un théâtre d’été, miteux et roux de Eastman.
J’étais heureux, et soudain… PAF !  Les projecteurs se sont éteints.  La salle s’est vidée avant même que le spectacle ne soit commencé.  Les autres acteurs sont partis, sans être applaudis, sans être félicités.  Et moi, metteur en scène, n’ayant plus rien à mettre en scène, je me suis retrouvé assis, seul sur la scène, fixant les planches vides, essayant de voir ce qu’il y sera joué demain.  Fixant les bancs vides, pour voir qui y sera assis éventuellement.  Je ne vois rien, ni personne.  Que de la honte, de la peur, de la gêne, de la solitude… du silence.
 J’étais heureux et soudain… PAF !  Plus rien.
***
         Pourtant, Karine n’est pas la première fille à me confondre avec un vieux matelas qu’on laisse sur le bord de la rue en se disant que quelqu’un va le ramasser.  Des filles, il y en a eu plein d’autres.  Certaines ont fait mal, d’autres moins.  On se rend compte que malgré le fait que l’on vieillit c’est quand qu’il n’y plus personne pour béquer bobo que ça fait le plus mal.
         Le CV de mes relations pourrait facilement avoir l’air d’un mauvais poème… ça rime à l’occasion mais ça sonne cheap. 
         Et je me verrais aller le lire dans des salles enfumées de douteuses soirées de  poésie devant des faux poètes, comme moi qui diraient les mots « Nietsche », « Système totalitaire » et « Légumes Bio » en croyant se rendre intéressants.  Je monterais sur la scène faite en caisses de bois, j’enroulerais le foulard autour de mon cou et je crierais à qui veut l’entendre que j’ai déjà été aimé moi aussi…  C’est un texte que je nommerais : « C’est Fini ! »  Je ferais ma courbette et je commencerais ainsi.  (Déjà ça rime)

« À ma première journée de quatrième année, je me suis assis près de son bureau. 
Surprenant car habituellement, je m’asseyais toujours près de Charlot. 
Dans la cour d’école, je la regardais sauter à la corde… Ah jolie Caro…
Elle me regardant, elle chuchota quelque chose à l’oreille de Marie-Jo
Je devais faire quelque chose au plus tôt. 
Je ne voulais pas, devant toi, avoir l’air nono.
« Veux-tu être mon amoureuse ?  Oui ou Non.  Choisis ton mot »
Elle m’a fait signe que « oui ».  Alors nous fûmes beaux.
Pendant trois récréations, j’ai gardé mon bras autour de sa taille et elle sa main dans la poche arrière de mon jeans bordeaux 
-          C’est fini, m’a dit Caro en ajustant son bandeau.
-          Pourquoi ?, sentant sur ma tête une enclume tombée de haut.
-          Parce qu’un gars en sixième veut être mon chum, c’est Luc Riendeau.
-          Ah… c’est beau.
Ce fut ma première peine d’amour.  Elle a duré quarante-neuf secondes et je suis ensuite retourné jouer au ballon-poteau.

J’ai attendu longtemps avant de prêter mon cœur à une autre fée. 
Trois mois et deux semaines que l’autre relation a duré. 
Elle s’appelait Marie-Renée
C’est elle qui m’a appris à embrasser.
Elle possédait une langue qu’elle maniait comme une épée. 
Nous avons, d’ailleurs, passé plusieurs soirées à s’inspecter le dentier.
Un soir que les oreilles de ses parents ont été obligées de quitter, au dessus de nos têtes, le plancher.
Nous avons décidé de plus loin aller. 
Pour notre première relation sexuelle Marie-Renée avait tout calculé.
Sauf mon corps trop excité.
Ma main droite dans ses cheveux peignés,
pendant que la gauche inspectait son bustier. 
Ses petits seins se durcissaient au contact de mes doigts tout mêlés.
Elle défit ma ceinture et entra sa main dans mon jockey.
Très concentré, je ne voulais pas me tromper.
Elle effleura à peine mon pénis et j’éjacula partout, sur sa main et sur le canapé
Ce n’était pas vraiment ce que j’avais prévu comme plan pour la soirée.
Surtout quand dans la noirceur, le plafonnier s’est allumé
-          C’est fini, que m’a dit le père de Marie-Renée.
-          Euh… Monsieur Tremblay… Vous avez passé une bonne soirée ?
-          Bye... Tes pantalons... oublies pas de les relever.
-          Bonne idée… bon ben… je vais y aller
De Marie-Renée je n’en ai plus jamais entendu parlé.    

Trois jour avant le jour « J » et j’avais DEUX billets pour le bal et je ne voulais pas être obligé d’y amener ma cousine, Catou.
J’ai donc demander de m’accompagner à ma voisine Loulou..
Elle avait accepté et j’étais plus que fou.
Il faut dire que ma voisine avait un corps… un véritable bijou !!!
Nous avions beaucoup ri, elle avait assez bu et j’avais gradué aussi mais c’est flou. 
En allant la reconduire après le bal, le cœur plein d’allégresse, je croyais que… ben que… Vous savez, chaque soirée doit avoir son clou.
La limousine nous débarqua, entre chez nous. 
C’est elle qui brisa ce silence qui me rendait fou.
« T’es pas obligé de venir me reconduire mais tu peux quand même venir coucher chez nous. »
Je nous voyais déjà, montrer à tout le monde qu’il y a, sur cette Terre, une fille plus un gars qui allait faire un « Nous » …
Après l’amour, elle m’a dit : « Mais il va falloir que tu partes de bonne heure, mon chum revient demain matin de Toumbouctou. »
-          Ton chum ???  Toumbouctou ?!?
-          Oui il est là bas pour une étude sur les gnous.
-          T’as un chum pis tu couches avec d’autres gars ?!?  Non mais t’as l’esprit aussi ouvert que les genous.
-          C’est fini ! que m’a dit Loulou en riant et en ramassant mon linge un peu partout dans sa chambre, va t’en chez vous !!!
-          Si j’ai bien compris, entre nous c’était sexuel de bout en bout !?!
-          Pourtant, je n’ai pas eu besoin de te tordre le cou.
-          Je n’ai rien à rajouter, Procureur c’est à vous…

Ensuite il y eut Cindy, Fanie et Nathalie pour une nuit. 
Et aussi Suzy, Janie et Amélie qui étudiait la chimie. 
Anne-Marie et une autre Nathalie ont comblé quelques unes de mes envies
et j’ai partagé un trois et demi avec Annie. 
Magalie est partis, tandis qu’avec Sylvie c’est moi qui ne l’ai pas suivie. 
Il y a eu aussi l’histoire d’une Mélanie, que j’avais rencontré dans une pharmacie.  Quand soudain une Karine est venue charcuter ma vie… »

Et c’est ainsi que je finirais mon poème… et si vraiment j’avais vraiment le sens du spectacle c’est là que je me viderais un chargeur sur la tempe.  Et les paris sont ouverts sur le nombre de balles qui peuvent me transpercer le cerveau avant que cette foule ne remarque ma mort.  La foule finirait de s’écouter parler en terminant leur jus de betteraves et leurs expresso et l’un d’entre eux irait finalement se coucher en pensant à la critique de cette soirée de poésie qu’il avait à écrire pour l’édition du Voir du lendemain matin qui aurait pour titre : « Fin de soirée à l’américaine.  Le poète se tue pour attirer l’attention car ce n’est pas avec son poème  médiocre qu’il aurait pu le faire.  Les soirées de poésie ne sont plus ce qu’elles étaient, trop commerciales ». 
***
 
Me morfondre sur le divan devenu le prolongement de mon corps, ma bosse de chameau, ma carapace d’escargot.  C’est d’ailleurs à cette vitesse que je me dirige vers les entrailles de la désolation. 
Le problème est, que la désolation c’est comme le ski alpin, la remontée semble toujours plus longue que la descente.
***

Chapitre 4


J’ai mis mon pied à terre




La vie n’est pas un restaurant, mais un buffet.
Levez-vous pour vous servir !
- D. Glocheux
   Vendredi midi ?  Quoi ???  C’est vendredi midi !  C’est la première fois en quatre mois que je remarque quel jour on est et que ça me fait quelque chose.  Ah non ! Je pense que je vais mieux.  Ça tombe mal, juste avant la fin des téléromans.  Si je pouvais être déprimé encore deux semaines, je pourrais savoir la fin de toutes les intrigues.  Mais non, il faut que je guérisse maintenant.  Non mais est ce qu’il y a quelque chose de plus chien que ça !  Quatre mois, trois jours, neuf heures et douze minutes après le début de ma désolation, je guéris !  Et en plus je guéris trop vite!  Peut-être que c’est une faiblesse, je vais tenter de dormir.  Ma dépression va sûrement revenir. Que va-t-il arriver au bébé de Paul et Jenny, qui est en réalité celui de Paul et Deborah, mais Jenny ne le sait pas encore, qu’arrivera-t-il à Stewart qui a eu un accident de Mercedes dans le dernier épisode, qui annoncera à ….  Non mais je m’en câlisse ! 
Bon, il va bien falloir que je vive avec, ma dépression est finie!
En me levant je mets le pied dans mon restant de déjeuner.  J’ai une toast au cheez whiz collée après mon bas de laine.  J’essaie de la rejeter par terre en secouant mon pied.  Rien à faire.  J’enlève mon bas en le retournant, comme lorsque l’on ramasse une merde de chien avec un sac en plastique, et je le lance dans la poubelle.  Je jette un coup d’oeil autour de moi.  Le salon ressemble à une allée de Wal-Mart après une journée de promotion pour la rentrée scolaire.  « La mère du petit Phil est priée de bien vouloir venir chercher son fils au kiosque d’information, il a été retrouvé dans la boîte d’objet perdus avec une légère défaillance morale de quatre mois.  Il faudrait aussi penser à le laver ! La mère du petit Phil est priée de se présenter au kiosque d’information.  Et profitez de nos spéciaux sur les bas de nylons jusqu’à 17 heures ce soir !»
Le toaster qui traîne sur la télévision me renvoie soudain le reflet de quelqu’un ayant un lien de parenté avec le Sasquatch.  L’homme devant moi a les yeux rouges, la barbe de Belzébuth (je ne sais pas s’il en avait une, mais c’est de ça qu’elle aurait l’air), le teint aussi lumineux qu’une lumière de réfrigérateur pendant le verglas et, en plus, il a un espèce de morceau brun pris entre les dents.  Merde, je ne sais pas depuis combien de temps j’ai cet intrus entre les palettes, mais ça ne ressemble à rien de ce que j’ai mangé cette semaine.
En me dirigeant vers la douche je regarde mon « costume de soirée ».  J’ai les pantalons de jogging blanc que j’ai mis le premier jour, mon t-shirt à la même odeur qu’une équipe de hockey s’étant baignée dans une piscine remplie de cheez-whiz, de bière et de chou-fleurs cuits.  D’ailleurs, je ne sais pas du tout d’où vient l’odeur du légume.   Il ne me reste plus qu’un bas, l’autre étant dans la poubelle avec mon restant de déjeuner.  Si quelqu’un m’avait vu marcher dans le corridor, il aurait sûrement cru qu’il venait de rencontrer le fantôme… de… le fantôme qui… Est-ce qu’une odeur peut avoir un fantôme ?
J’ai du pain sur la planche et aussi sous l’un de mes bas !  Je commence par nettoyer le salon.  J’ai réussi à trouver dans le garde-robe de l’entrée un « scraper » qui m’est fort utile pour ramasser les cochonneries accumulées depuis les quatre derniers mois.  Le télé-horaire, collé au sol par de la bière, constitue ma prise la plus dure de la journée.
   Ça y est, je suis prêt à recommencer à vivre.  C’est d’un pas décidé que je me dirige vers la salle de bain afin d’envoyer dans le drain tout ce que j’ai d’amertume, de peine et de souvenirs rouquins.  Enfin me lancer dans cette ère nouvelle de ma vie.
   Lances-toi pas de trop haut, Phil, tu risques de te faire mal !!!
***

   En coupant ma barbe, j’ai l’impression d’être un banlieusard en train de ramasser ses feuilles à l’automne.  Le plancher de la salle de bain est jonché de poils, les petits voisins doivent être sur le bord de sauter dans le tas.  Georges arrive.
-    Scusez ?  Pour moi j’me suis trompé d’appart.
Il ressort et va vérifier le numéro au-dessus de la porte.
-    Chus ben à bonne place.  Phil es-tu là ?  Je pense qu’on s’est fait voler notre salon, pis toutes les cochonneries qu’il y avait dedans !
Je sors de la salle de bain, Georges me regarde surpris.
-    Ils ont même volé ta barbe !  Souris-moi donc.  T’es chanceux, ils ont aussi ramassé le morceau brun que t’avais entre les dents depuis au moins deux semaines.
-    T’avais vu le morceau pis tu m’as rien dit, t’es un bel écoeurant !
-    Tsé avec la mode du piercing, je pensais que tu t’étais fait percer une dent ! Léger silence.  « Chus content de te revoir comme avant bonhomme. »
-    J’ai d’l’air si pire que ça ?
Il se dirige vers sa chambre en enlevant sa cravate verte qui est, selon moi, la chose la plus horrible que la mode a inventé depuis la camisole pour homme.
-    Facque, es-tu prêt pour partir sur la rumba à soir ?
-    Chus pas sûr de me rappeler comment on fait ça.
-    Je devrais être capable de te donner une vague idée de ce qu’il faut faire.
Je retourne devant le miroir de la salle de bain.  J’ai quelque chose de changé.  Je ne sais pas quoi.  Non, ce n’est pas la barbe.  Ce n’est pas non plus le morceau brun.  Je ne suis pas certain mais je pense que maintenant, situé juste sous le nez et un peu au-dessus du menton, j’ai un début d’envie de sourire!
***

-    Georges, quéssé que t’as fait avec les deux sacs ?
-    Les deux sacs ?
-    Oui, tsé, mes valises que j’avais quand ch’t’arrivé, tu les as pas jeté j’espère?
-    Non, mais j’avoue qu’un bout de temps je pensais avoir à les envoyer à l’armée du salut.  Ils sont dans mon garde-robe.
Ils sont là, gentiment empilés dans le coin, entre les patins à roues alignées, le futur lavage et la brassière de « l’Une d’Elle » oubliée la veille ou l’avant-veille ou l’avant-avant-veille.  Je vide leur contenu sur le lit de mon coloc.  Le linge que Karine m’a laissé n’est pas vraiment mon préféré, mais en quatre mois j’ai eu le temps d’oublier quelques unes des raisons que j’avais de la détester.  C’est bon que je rafraîchisse la partie cruauté de ma mémoire.
Je choisis donc une paire de jeans, une chemise et un t-shirt.  Aussi bien ne pas trop partir en peur.  Si je suis trop chic, les filles vont se battre pour moi, et s’il y a deux choses que je ne veux pas aujourd’hui, c’est bien de la chicane et trop de filles autour de moi.  Quand même, je sors d’une très importante dépression !
***


Chapitre 5

Un petit pas pour moi et un grand pas pour personne !
 
 
 
 
 
 
 
It's like you're always stuck in second gear,
When it hasn't been your day, your week, your month,
or even your year...
- The Rembrandts, “I’ll be there for you”
Tranquillement, j’approche ma main de la poignée de porte.  C’est le moment de vérité.  TAM, TAM, TADAM… TOM, TOM, TOM (c’est la musique de 2001: l’Odyssée de l’espace mais écrit à l’oreille).  La lumière me frappe comme le gant de boxe de Muhammad Ali, de l’époque avant le Parkinson, quand saler un aliment lui demandait plus de travail que maintenant.  Si j’avais été un homme célèbre, un grand scientifique ou encore Bruno Audet (personne ne le connaît, mais il s’est toujours pris pour quelqu’un d’autre), il y aurait eu une dizaine de photographes, journalistes et caméramans devant l’appartement. 
Mais comme je ne suis que moi, pour m’accueillir, il n’y a que les rayons du soleil, le chant des oiseaux et une espèce de senteur de fond de cheminée d’usine de pâtes et papiers que l’on retrouve seulement au fond d’un conteneur.  La vraie vie quoi !
On arrive à la hauteur de la voiture de Georges, une vieille Pony 84 beige. Dans un grincement métallique qui sonne comme un plombage sur un toit en bardeau d’asphalte, il m’ouvre la portière.
-    Bon, c’est quoi ton plan de match ? qu’il me demande.
-    Ben, j’le sais pas, quelque chose de… tranquille.
-    Tranquille… OK je devrais être capable d’arranger ça.  Fais-moi confiance.
***

   Un endroit tranquille ?!?  Dans ma tête, un bar où il y a deux partys universitaires, une équipe de football et un concours de Karaoke, ce n’est pas ce que j’appelle un salon funéraire.
-    Viens t’en, on va s’asseoir près du bar.
Mais je n’en crois pas mes yeux!  Les serveuses en top de bikini, qui sont toutes classées juste entre Jennifer Lopez et Cindy Crawford dans la liste des personnes « Toutes-sauf-laides » font la bise à Georges.  Ce gars là n’arrête donc jamais !!!
Georges nous trouve une table, dans la section du plus joli bikini du bar.  À peine ai-je posé mon fessier que Patof et le Chives, deux de mes vieux amis, arrivent.  Mais qu’est-ce qu’ils font là ?  J’ai l’impression que Georges a décidé d’organisé un petit « get together » à mon insu.
-    Salut Phil, ça va ?
-    Oui, beaucoup mieux.  On dirait que ta blonde t’a laissé sortir ?
-    Oui je lui ai promis trois massages de pieds, deux soirées au resto pis qu’on écouterait la dernière de «Virginie » ensemble.
Le Chives.  En amour de même, ça ne se peut pas.  C’est le couple le plus indépendant que je connais.  Mais pas indépendant l’un envers l’autre, mais plutôt indépendant du monde qui les entoure.  C’est comme si, pour eux, l’amour était une expérience top secrète du gouvernement et que tout contact avec le monde extérieur risquerait de compromettre grandement la mission.  « Le Flying Chives », « ciboulette volante » en anglais; c’est un nom qu’on lui a attribué par sa capacité, en jouant au basket, de faire la plus mauvaise imitation de Micheal « Air » Jordan sur l’hémisphère nord de cette planète. 
-    Pis toi, Patof, toujours chanteur à temps plein ?
-    Ben oui.  D’ailleurs, écoute ça, mon groupe sort un disque au mois de juin.
-    Félicitation !
-    Ben c’est pas vraiment nous autres, c’est « les Fesses à Claques », un groupe pour qui on fait la première partie qui nous a laissé le côté B de leur démo.
-    Alors c’est la gloire qui sonne à ta porte…
-    « J’espère que tu la vireras pas de bord comme tu fais avec tes chums qui arrivent chez vous à l’improviste un soir de souper aux chandelles », enchaîne Georges, toujours un peu négatif.
Un jour, ce cher Patof aura sa tronche sur écran géant.  Mais pour l’instant il serait plus facile pour lui d’avoir sa face sur un carton de lait.  Le pire c’est que je suis certain que les filles collectionneraient les deux litres.  Patof a toujours été celui de nous qui pognait le plus avec les filles.  Mais depuis quelques temps j’ai des doutes, Georges s’approche de la tête du palmarès.
Un fracas de verre se fait entendre derrière moi.  Sans même me retourner :
-    Je ne savais pas que Flag venait.
-    Oui, c’est lui qui arrive justement.
-    Je sais.
Flag, l’éternel gaffeur. Nommé ainsi en l’honneur de Flagada Jones, personnage de Walt Disney, qui avait la qualité d’avoir toujours les pieds dans les plats.  Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi maladroit.  Lors du dernier congrès des assureurs généraux d’Amérique, ont a voté à l’unanimité la clause « Flag », synonyme de catastrophe naturelle.    Mais ça l’air qu’on l’aime comme ça !
-    Salut les gars ça va ?
-    Oui mais pourrais-tu s’il te plaît enlever ton pied de sur le mien, ça fait mal!
-    Oups !!! s’cuse Georges.
Il ne manque qu’Eddy et la bande sera là au complet. Les trois mousquetaires étaient quatre; nous, nous étions les six « Fantastic Five ».  Le « Fantastic Five » réunis sept ans plus tard.  Bien sûr, il n’y a jamais personne qui nous a appelé comme ça mais on aurait bien aimé.
Eddy, c’est notre grosse police.  Exactement comme les grosses polices caricaturées dans les films.  La moustache, les beignes, le gros ego.  Genre Bud Spencer mais avec le vocabulaire de Pierre Falardeau.  Une vraie police.  Justement, il arrive, il est dans la file.  Évidemment, il dépasse tout le monde en montrant sa badge.  Les portiers n’ont pas d’autres choix que de le laisser passer.
-    Tabarnac, y a de la belles petites filles, icitte !  Y’en as-tu une pour moi ?
-    T’es pas marié toi, Eddy ?
-    Elle a une réunion à soir.
-    Fiou !  J’avais peur que tu n’ais pas d’alibi.
La blonde d’Eddy n’a pas à s’inquiéter, il parle beaucoup mais il n’agit jamais.   Il représente vraiment notre système de justice dans toute sa splendeur, beaucoup de bla bla et très peu d’action.  C’est le gars le plus fidèle que je connaisse.   Il est si fidèle qu’il a de la misère à épeler le mot « infidélité ».  Ah mais ça ce n’est pas parce qu’il est fidèle, c’est parce qu’il est police.
Surprenant que Georges ait réussi à ramasser toute la bande en un si court délai.  Il a dû les appeler pendant que j’étais sous la douche.  C’est vrai que j’ai pris une très longue douche.  Avant dix-huit ans, toutes les raisons sont bonnes pour faire des partys.  De la fin de l’acné de l’un, au nettoyage du frigo d’un autre.  Il suffisait que l’un de nous décide de faire une petite fête pour que deux heures et trois téléphones plus tard, on se ramasse trente-huit dans un demi sous-sol.
Mais aujourd’hui dans le même délai, on est à peine assez pour jouer une partie d’échecs.  Même, que des fois, il manque de joueurs.  Les femmes, le travail, les petites amies, le bébé, les conjointes, l’alcool au volant, les compagnes et les blondes sont toutes des raisons qui nous ont éloignés.  Je sais, ce sont toutes des choses qui font partie de la vie, mais il faut appeler une pomme, une pomme et une briseuse de gang,… disons… l’adorable copine de l’un de mes chums.
Le Chives et Eddy sont mariés.  La police a même un bébé de quatorze mois.  Flag a une nouvelle blonde depuis six mois.  Patof a plusieurs blondes depuis six mois.  Et Georges, ben … c’est Georges.  Je ne croyais jamais qu’un jour on deviendrait si… matures.   Eux non plus d’ailleurs.    
Quelle colle nous tient ensemble ?  Je ne le sais pas !  Peut-être la colle en bâton « Fun Stick ».  Si j’avais a inventé un slogan pour cette colle ce serait : « Collés ensemble pour avoir du fun ! »
***

Nos soirées ont toujours été un peu comme une boîte de Smarties, sauf qu’au lieu des rouges, nous c’est les bleus qu’on gardait pour la fin.
Il y a maintenant plus de pichets de bière vides sur la table qu’il y a de Romains dans les aventures d’Astérix.  Je suppose que nous n’avons plus rien d’intelligent à dire, car tout ce qui sort de nos bouches est soit incohérent, soit incompréhensible ou bien tout à fait ridicule.  Mais on a du plaisir à se remémorer la belle époque du secondaire.
   Eddy raconte pour  la enième fois l’histoire où George et lui sont allés chercher de l’eau, à moins trente-quatre degrés Celsius, sur la glace mince du lac du village pour leur projet d’Expo-science du lendemain matin.  Pendant ce temps, le Chives et Flag discutent à propos d’une fille sur le plancher de danse.  Je me demande bien ce qu’ils peuvent bien lui trouver… Oh ! (c’est ici que ma langue déroule jusqu’à terre)… à part un joli petit derrière en forme de pomme.  Je n’écoute plus Eddy, de toute façon premièrement, je connais déjà l’histoire et deuxièmement je déteste toutes les fins où le conteur fini en héros et troisièmement, elle a trop un joli petit cul
Le Chives sort un billet de 20 dollars et le dépose sur la table.  La fille s’est approchée, elle danse à une longueur de bras de Flag. Je n’entends vraiment pas ce qu’ils disent.  Eddy se lève avec Patof, le premier s’en va aux toilettes et le deuxième s’approche du comptoir pour aller nous chercher un autre dernier pichet. Le Chives reprend son billet et s’apprête à le remettre dans sa poche.  Flag l’arrête et décide de passer aux actes.  Il attrape à pleine main un quartier de la pomme qui danse, si ce n'est pas toute la pomme au complet.  La fille quitte en courant pendant que le Chives donne les 20 dollars à Flag.  Mes deux zouin-zouins d’amis sont très contents de leur coup.  Mais ils le seraient moins s’ils voyaient dans les bras de qui la fille s’est blottie. 
Est-ce que j’ai mentionné l’équipe de football?!?
Le capitaine de l’équipe regarde dans notre direction.  Il fait signe à ses amis.  J’aimerais faire signe aux miens, mais ils ne me regardent pas du tout.  Georges est captivé par une blonde assise au comptoir.  Patof approche avec un pichet de blonde.  Le Chives et Flag se disent qu’ils ne doivent surtout pas en parler à leurs blondes.  Eddy, dans la salle de toilettes, est sûrement en train de compter une joke de blondes.  Et moi… et moi…
-    Houston, on a un problème !
L’équipe de football approche dans notre direction.  Ils sont minimum douze, maximum trois cent vingt-deux.  J’ai l’impression de me retrouver dans un mauvais scénario d’une comédie sentimentale pour adolescentes.  Même que je cherche des yeux le réalisateur afin qu’il crie « Coupez ».  Mais non, notre seule chance c’est que les portiers de la place décident de nous sortir avant que nous nous fassions démolir.  Présentement, ils sont là, tous les huit, à calculer en s’obstinant sur l’âge d’une demoiselle d’environ seize ans, en fixant bêtement ses cartes et surtout son décolleté.
Je commence à lancer les pichets vides en direction de nos assaillants.  Mes trois chums se retournent vers l’armée ennemie.  Ils se lèvent, reculent, paniquent
-    OK, qu’est-ce que j’ai manqué, moi là ?, crie Georges stupéfait.
-    Disons qu’il y avait une gaffe à faire, pis devine qui c’est qui l’a faite ? que je lui réponds.
-    Christ Flag !!,  Encore toi ???
-    Oui mais j’ai gagné 20 piastres.
-    C’est beau les gars, là on va toutes gagner 20 claques sur la gueule !
-    Oups !!!
Nous sommes maintenant à portée de taloches des footballeurs.  Du coin de l’oeil, je vois Patof arriver du haut de ses cinq pieds cinq pouces et lancer le pichet plein de bière au gros ailier défensif.  Quel gaspillage !  Et là je parle de la bière, pas de la chemise à quatre-vingt-douze piastres qu’il porte.  Une chance qu’il court vite. Mais que font les cerveaux du Nautilus qui servent de bouncers ??  Et surtout où est Eddy.  Je lève les yeux, il est derrière la ligne de mêlée en train de faire manger des tables à trois enflures.  Bonjour la police !  
Je viens de perdre mes lunettes et j’ai le nez qui saigne.  Mes copains ne doivent pas s’en tirer trop mal.  Je ne vois plus Patof et Georges, ils ont dû être jetés dehors.  Flag est dans les bras d’un bouncer.  En passant près du petit cul en forme de pomme, il lui envoie un baiser.  Ce qui lui vaut un joli crochet de droite de la demoiselle.  Grand romantique va !  Le Chives a caché sous une table ses 6’2’’ et ses 102 livres-les-poches-pleines-de-change.  C’est justement sur cette table qu’Eddy vient de lancer un de ses matadors.  Pauvre Chives.
Je tape à grands coups de pichet dans la face de mon troisième assaillant. Ils sont trois portiers sur le dos d’Eddy pour le sortir. J’entends derrière moi le bruit d’une grosse masse qui s’approche. J’espère que c’est un bouncer.  Je me retourne.  Merde  !  Il me regarde et surtout, il me reconnaît.  Je serais mieux de jouer au soccer sur un terrain bourré de mines anti-personnelles que de rester à côté de l’homme roux qui s’approche.  De plus, il a de grosses mains.  Grosses comme des colonnes de son !
   La Montagne m’agrippe à bras le corps et se dirige vers la sortie de secours.  Pendant qu’il fraye son passage vers la porte, je récite une prière.  « Saint-Louis, patron des coiffeurs, arrangez-vous pour qu’il ne me dépeigne pas trop.  Saint-Pierre préparez-moi un joli petit appartement douillet au ciel, pas trop loin de celui de Marilyn Monroe, si c’est possible.  Saint-Esprit faites que la foudre terrasse cet homme en traversant la porte. Petit Jésus, arrangez-vous pour que je me réveille après un vilain cauchemar.  Bon Dieu, veuillez dire à mes amis que je les aime et, surtout, Seigneur, faites que je me réveille dans les bras d’une jeune, jolie et plantureuse infirmière comme on en voit dans les films porno. »  Bon, une prière comme ça ne fera pas le Prions en Église mais comme je suis sur le bord de mourir alors…
   Le gros rouquin ouvre la porte avec son pied et on débouche dans la cour arrière du bar.  Il me dépose sur le sol à côté des poubelles.  Ça ne sent pas très bon, mais tant que mon système olfactif fonctionne, c’est que je suis toujours vivant.  Je ferme un oeil, prêt à recevoir un coup de poing.
-    T’es tu correct ?? Phil, c’est ça Phil ???
Tiens, on dirait que ce n’est pas dans ses intentions de transformer mon crâne en plat à peanuts.
-    Ouais, je vais juste être raqué pis un peu enflé demain matin.
-    Moi, c’est Martin, tu te rappelles-tu de moi?
Non mais sérieusement, est-ce qu’il pense vraiment que je pourrais l’oublier ?
-    Ouais, ouais.  T’es le gars qui m’a si gentiment fait découvrir que je devais songer à déménager.
-    Je m’excuse, elle me l’avait pas dit que…
-    Que c’était MA robe de chambre !
-    Non, non elle me l’avait pas dit qu’elle avait un chum.
-    Bof c’est pas grave… euh…  Sors-tu encore avec ?
-    Non.
-    …était conne de toute façon.
-    Ça faisait deux mois qu’on sortait ensemble pis un moment donné j’t’arrivé pis y avait quelqu’un d’autre… dans la robe de chambre.
-    Hein, T’as dû y casser la gueule ???
-    Non.  J’ai eu la chienne.
-    Merde elle était avec qui ?? Godzilla !?!
-    Non, le gars était pas épeurant, y avait la « shape » d’une patère.  J’ai eu la chienne quand je me suis rendu compte que si j’avais passé toute ma vie avec cette fille là j’aurais passé à côté.
-    À côté de quoi ?
-    J’aurais pas vu c’était quoi une vraie relation, être en amour.  Je pensais que j’étais en amour.  Mais elle m’aimait pas… Pour moi, Karine représentait l’idéal féminin, je ne me voyais pas avec une autre fille que elle.  Tandis que pour elle, j’étais… là.
-    Tu vas voir c’est difficile de l’oublier, moi je viens juste de finir de ressembler tous les morceaux de mon cœur qu’elle avait passer dans le malaxeur.
-    Non Phil, je ne ferai pas ça, elle en valait pas la peine.
Un silence s’installe pendant quelques secondes.  Ensuite, il me dit qu’il fera beau demain.  Silence.  Je lui réponds qu’on aura sûrement un bel été.  Autre silence.  Il me sert la main, tourne les talons et s’enfonce vers le fond de la ruelle.  Moi qui croyais que tous les gros étaient nonos… mais des fois c’est de vrais agneaux.
***
   Je retrouve les gars au restaurant où nous avions l’habitude de nous rejoindre après nos soirées de débauches.  Disons que nous ne nous en sommes pas trop mal sortis pour des gars qui viennent de se battre contre une équipe de football.  Georges a la lèvre inférieure grosse comme une banane.  Patof est coupé sous l’oeil.  Le Chives a une bosse dans le front à faire saliver les routes du Québec.  Eddy est comme moi, il a du sang partout sur sa chemise, sauf que lui, ce n’est pas nécessairement le sien.  Seul Flag n’a rien.  Il n’y a vraiment aucune justice sur cette terre.
   Rien de mieux qu’une petite soirée passée avec tes meilleurs chums pour replacer les affaires.  Dire qu’il y a des femmes qui ne veulent pas que leur homme se retrouve avec une gang de gars pour faire la fête.  Au pire qu’est-ce qui pourrait arriver?  Que leur chum décide de se mettre les pieds dans les plats, qu’il se batte ou bien qu’il tombe amoureux de quelqu’un d’autre.  Ben voyons, c’est juste dans les livres ça.
C’est le Chives, ce grand philosophe, qui obtient la phrase la plus songée de la soirée.  La phrase que des générations et des générations de gangs de chums se commémoreront les soirs de retrouvailles.  La phrase qui fera de lui un homme respecté parmi les hommes.  La phrase qui, un jour, se retrouvera sûrement dans le livre des livres, le recueil, que dis-je la bible des citations.  D’un air songeur, le Chives déclare :
-    Comment je vas faire pour expliquer ça à ma femme, moé ???
***
Après les salutations d’usage, Georges et moi retournons à sa voiture.  Une fois de plus nous ne parlons pas.  Nous sommes comme ça, nous les hommes.  Nous ne disons pas ce que nous aimons et encore moins ce que nous n’aimons pas, mais un silence en dit beaucoup plus long qu’il paraît.  Par exemple, un silence peut vouloir dire « Je t’aime », « Je vais te casser la gueule » ou « As-tu vu à quel prix est rendu la caisse de 24 ? » . 
Finalement c’est Georges qui le brise ce silence.
-    Chéchais une chhrist de belch choirée !
-    Quoi ???
-    Chéchais une chhrist de belch choirée !
-    C’était une christ de belle soirée ??
Il me fait signe que « oui ».  Pauvre Georges !  Avec sa lèvre enflée, en fin de semaine, il pourra penser au petit cul en forme de pomme, mais il ne la chantera sûrement pas.
***


Chapitre 6


Travailler c’est trop dur…




Tous les jours, je consulte la liste des personnes les plus riches. 
Si je n’y figure pas, je vais travailler.
- Robert Orben

   Je ne suis pas le Fort Knox, quand même.  Si l’oisiveté est la mère de tous les vices, je pense que le test d’ADN saura prouver que j’en suis le père.  C’est bien le fun les vacances et la grosse vie sale, mais à un moment donné il faut recommencer à travailler, sinon tu risques de faire la grosse vie sale au coin de la rue dans une boîte en carton. 
   Avant le cataclysme, j’étais scripteur pour une émission de radio montréalaise.  Rien de bien difficile.  Réunion d’équipe à huit heures le matin.  On y décidait du sujet du jour.  Ensuite on faisait du brainstorming jusqu’à onze heures.  L’émission était diffusée en direct de onze heures trente à treize heures.  Ensuite, nous allions dîner et nous disions des niaiseries jusqu’à quatre heures.  Ce n’était pas du génie nucléaire mais quand même, c’était quelque chose que j’aimais. 
Le directeur de la station, Monsieur Bélanger essaye, avec ses lunettes trop grosses, de percer mon crâne pour deviner à quoi je pense.  Il finit par m’annoncer qu’il n’a rien pour moi, du moins pour le moment.  Je vais devoir jouer plus serré.  Je lui fais mes yeux d’épagneul frits dans de l’huile de vinaigre.  Il remonte ses lunettes.  Je tente de verser une larme, mais il fait toujours très sec dans le bureau de monsieur Bélanger.
-    D’accord j’ai quelque chose pour toi, c’est pas grand chose comparé à ce que tu avais mais ce n’est pas trop mal.
-    Quoi ???
-    Le nouveau stagiaire qui travaille avec l’émission du matin n’est pas vraiment bon.  Son stage finit dans deux jours, tu auras son poste.  Mais je vais devoir baisser ton salaire.
-    C’est pas grave !  Merci monsieur Bélanger !
-    De rien je t’attends dans deux jours, à 4 heures du matin.
-    Ah oui… à quatre heures.
-    Du matin !
-    Je le sais.  Quatre heures…du matin.
Si l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, je viens d’en acquérir une caisse.  Voulez-vous bien me dire ce que je ferai d’une caisse d’Avenir ?  Je serai aussi mal pris avec une douzaine de Rotato de Star Frit.
Nous scellons le pacte d’une poignée de main.  Au moins, j’ai un travail, qui me permettra de sortir un peu et de rencontrer de nouvelles personnes… du genre qui se couchent à huit heures le soir.  Je me sens quasiment mal pour le pauvre stagiaire.
-    Au fait, il s’appelait comment le stagiaire ?
-    Bof… euh… Nicolas Boucher, je pense.
Un autre qui va penser que la vie est ingrate envers lui.  Ce n’est pas si pire que ça !  Sa blonde n’est pas partie avec un énorme rouquin.  Du moins, je l’espère pour lui !
***

   Un oeil à moitié ouvert, l’autre à moitié fermé.  Je me dirige vers la station de radio.  Je n’ai presque pas dormi.  Depuis quelques temps, quatre heures du matin, c’est l’heure à laquelle je me couche.
   Mais je suis prêt.  Je sais que mes preuves sont faites.  Je sais que je suis un des bons scripteurs radiophoniques de la métropole.  Je sais que ça va bien aller.  Je sais aussi que si je n’accélère pas la cadence je n’arriverai jamais à l’heure au travail.
   J’arrive à la station avec un gros quinze… secondes d’avance.  Je me dirige vers la salle de réunion. 
   L’équipe du matin est déjà rassemblée.  Il y a Claude à l’animation,  Michel à l’actualité, Nathalie aux sports et René à la météo.  Élisabeth, la metteure en ondes et Sam l’autre scripteur complètent le tableau.  Un lourd silence pèse sur les six personnes assises autour de la table.  Je connais tout ce monde de vue mais il n’y a qu’Élisabeth avec qui j’ai déjà travaillé.  J’ai l’impression qu’on a omis d’annoncer ma venue.  C’est Claude qui le premier prend la parole.
-    C’est toi le scripteur qui remplace le stagiaire ? Il travaillait bien.
-    Euh… oui, je pense.
J’ai comme l’impression que l’amour qu’avait Monsieur Bélanger pour le stagiaire est inversement proportionnel à l’esprit d’équipe qu’il a brisé.
-    J’espère que t’es aussi bon que Réal l’a dit.
Dans toute la station, seul le morning-man se permet d’appeler Monsieur Bélanger par son petit nom.  
-    Ouin parce que le stagiaire était drôle, lui !
Là, c’est René qui vient de me lancer cette flèche, que dis-je cette flèche, ce boulet.
-    Avec lui il y avait toujours moyen de rigoler…
-    Il ne manquait jamais une occasion de faire rire…
Non mais je reçois des tirs de tous les côtés !  Même les filles réussissent à me puncher.  Ce qui est assez rare en radio.
-    …de rire de lui oui !!!
Les obus deviennent des éclats de rire.  Claude, suivi de toute l’équipe, se lève et vient me serrer la main.
-    Bienvenue dans l’équipe qui fait des petits dodos d’après-midi !!!
***

   Ma première journée a été fort encourageante.  L’équipe est drôle, les sujets originaux et surtout, Nathalie très jolie. 
Elle m’a même invité à dîner chez elle.  J’ai immédiatement su que cette fille n’était pas pour moi.  Elle adore le tofu.  Comment une personne qui préfère un simili-pâté de racines aux herbes à un steak sur le gril, peut être tout à fait équilibrée psychologiquement ???  Et son appartement !!!  On dirait la maison en bonbons de la sorcière dans Hansel et Gretel, version condominium.  Tout est rose, vert lime et en mélamine.  C’est magnifique comme maison de poupée, mais pour une personne mature, d’âge adulte, c’est une bonne raison de se faire maquiller par un train.  C’est maintenant classé dans ma tête, Nathalie est une Barbie.  Et c’est certain que je ne serai pas son « Ken ».  De toute façon, du tofu avec du Cheez Whiz, ça doit être dégueulasse. 
Mais, en général, disons qu’à part le fait de se lever à une heure où même le soleil essaie d’oublier son cadran, mon travail est merveilleux.  Payé pour dire des niaiseries et les écrire, j’ai beaucoup d’oncles un peu colon convaincus qu’ils seraient excellents là dedans.  Je crois que c’est plus difficile de faire rire que de faire pleurer.  Tout le monde peut faire pleurer, même les oignons le font.  Mais rire…  Il n’y a aucun légume qui réussit à faire ça.  Sauf lorsqu’ils vendent des stylos en face de la pharmacie.  Ça je trouve ça drôle.  
***


Chapitre 7
Lorsque que Cupidon se rend au champ de pratique
Strike One…


Une histoire du cul peut devenir une histoire d’amour. 
L’inverse est très rare.
-          F. Beigbeder

            Mon entourage a décidé de me trouver une nouvelle petite amie.  Je ne crois pas être prêt mais ce n’est pas moi qui occupe le siège du chauffeur.
   Mon premier rendez-vous, c’est la blonde de Flag, Myriam, qui me l’a organisé.  On voit que c’est une fille qui a planifié ce « blind date ».  Elle a choisi ce que je devais manger, choisi ce que je devais mettre, elle a d’ailleurs fait elle-même la réservation.  Comme si je n’étais pas capable de m’arranger tout seul.  Non mais, quand même, je ne suis pas son chum.
   Je demande au placier s’il n’y aurait pas une jeune demoiselle qui attendrait quelqu’un comme moi.  Il me regarde de haut en bas.  Une moue se forme sur son visage que je qualifierais de… désagréable.  Il me demande finalement de le suivre.
   Une jolie blonde est assise près de la fenêtre.  Au premier coup d’oeil, je reconnais le goût de Myriam pour les belles choses.  Elle est bien proportionnée, mais je ne lui vois pas le visage.  On ne peut rien dire d’une fille tant que l’on n’a pas vu son visage et surtout son sourire.  Je m’approche de la table.
-    Mademoiselle Pelletier ?
-    Oui, tu es Phil, je suppose ?
-    Ben oui, quel hasard !
Ce qui la fait sourire. 
Je sursaute !  Oh mon Dieu !!!  Non mais il faut un permis pour creuser ça.  On ne peut pas installer un tunnel à quatre voies comme ça n’importe où !  Surtout pas entre les deux palettes d’une si jolie fille. 
Je m’assois quand même.  Non pas parce que je suis gêné de partir en courant mais plutôt parce que j’ai entendu dire qu’ici la pizza aux fruits de mer est excellente.  Je décide d’ouvrir la conversation.
-    Alors quoi de neuf ?
-    Tout !  On ne se connaît pas!
-    Ok bon ben commence par… le commencement.
-    Je suis seule depuis sept semaines, mon ex est parti en Colombie-Britannique, pis y a décidé de pas revenir…
Oh la la ! La soirée va être très longue.
-    Garçon !  Je vais prendre la pizza aux fruits de mer.
-    Désolé, on en n’a plus !
Quand ça va mal !
***
Je suis tout de même allé la reconduire chez elle après le souper.  Lorsqu’une personne est d’un naturel galant, elle peut difficilement faire autrement.
En réalité, j’ai été impressionné par Josée.  Et pas seulement par ses dents mais aussi par son petit caractère spécial.  C’est une jolie fille, intelligente, sexy, débrouillarde, gentille, mais je ne peux vraiment rien faire pour son sourire.  Même si j’essaye, je ne suis pas capable.  Je pourrais même la présenter à d’autres de mes amis.  Des amis pour qui l’important c’est les yeux, les fesses, les seins, les jambes, ou n’importe quoi d’autre qui ne fait pas la première page du Elle Québec comme le quotient intellectuel, l’originalité ou le sens de l’humour.  Il y a des « Boobs guys », des « Ass guys », des « Legs guys ».  Moi je suis un « Smile guy » ascendant « Ass guy ».
En faisant le piquet devant sa porte, elle m’invite à monter.  Ça sent l’embuscade à plein nez.  Je ne sais vraiment pas quoi répondre.  Je ne suis quand même pas pour lui dire qu’elle aurait pu avoir le rôle de la passagère d’avion dans le premier Elvis Gratton.  Sauf que ce n’est pas des broches que ça lui prendrait mais du fil barbelé. 
Sexuellement, elle m’attire.  Bien sûr, je pourrais quand même baiser avec elle, m’arranger pour partir pendant qu’elle est dans la douche et ne plus jamais la rappeler.  Mais mes amies de filles m’ont toujours dit que c’était un peu-pas-cool de faire ça.
-    Viens-tu prendre un verre avant de partir ?
-    Euh… je pense que j’ai assez bu.
-    T’as rien bu de la soirée.
-    Non mais… je veux dire… que si je bois trop, il va falloir que je me lève vingt-deux fois cette nuit pour aller aux toilettes, pis ma veilleuse est brûlée, ça va être dangereux surtout que mon coloc se laisse traîner pis que…
-    T’es certain ?
-    Oui, je veux pas te faire de peine, mais je dois y aller.
-    OK, bonne nuit d’abord, à la prochaine, j’espère.
Bon le moment de se quitter est venu.  Non Phil, tu ne dois pas coucher avec elle!  On se regarde.  Mets une autre image dans ta tête Phil, pense à… ta déclaration d’impôts.  Ah merde, voilà que je trouve mon comptable excitant ! 
C’est de décider lequel de nous deux fera le premier dernier geste. 
C’est elle.  Elle s’approche de moi et me donne deux becs sur les joues.  Son parfum monte jusqu’à moi.  Je prends une grande bouffée de cet air, qui me rappelle les premiers vents du printemps, chargés de fraîcheur et d’une odeur… après avoir senti cette douce brise, on espérerait presque devenir « aveugle » du nez, pour se souvenir de cette seule et dernière odeur.  Son parfum a sur moi l’effet de 82 capsules de Viagra sur le président d’un club d’âge d’or.
-    Si tu veux, on peut JUSTE coucher ensemble, qu’elle me dit.
Excellent !!!
Il y a toujours des filles qui pensent exactement comme les gars.  J’ai failli lui offrir d’écouter la fin du match du Canadien avec un restant de caisse de douze, mais je n’ai pas voulu pousser ma chance trop loin.  De toute façon, au printemps, ça fait longtemps que les Canadiens ne jouent plus.
***



Chapitre 8


Un sourire qui rendrait le printemps jaloux






La vie c’est comme une boîte de chocolat,
on ne sait jamais sur quoi on va tomber.
- Forrest Gump

   Trente-deux degrés, cinq heures moins cinq, quatorzième étage, air climatisé brisé.  J’attends depuis deux heures et demi.  Devant moi, ont défilé les numéros 245 à 734.  J’en ai plein mon casque.
   Je ne suis pas ici pour faire une demande impossible.  Ce n’est pas la paix dans le monde que je veux.  Encore moins un président de gauche à la Maison-Blanche.  Tout ce que je veux c’est déposer une demande de subvention au Conseil des Arts et des Lettres du Québec.
   J’ai eu une petite idée de scénario pour la télévision.  Et Georges m’a convaincu de venir faire une demande.  Je ne voulais pas mais lorsqu’il m’a rappelé l’heure à laquelle il faudrait que je me réveille pour les 10 prochaines années, j’y suis allé.  Mais j’ai l’impression qu’il m’a surtout convaincu de venir perdre un après-midi à compter les gouttes de sueur du gros chauve assis devant moi.
   À côté de lui, une dame qui ressemble à Francine Grimaldi, mais avec la corpulence du Bonhomme Carnaval, essaie de croiser mon regard.  Alors comme un mousquetaire je tente de parer le coup.  Je cherche des yeux un Châtelaine 1984 que je n’aurais pas lu.  Oh non !!!  Et voilà !  C’est fait, elle me fait un sourire.  Ce n’est pas vraiment mon genre de femme, mais on dirait que moi, je suis le genre d’homme de ce genre de femme.  Elle vient s’asseoir à côté de moi.
-    C’est quoi votre idée, vous ?
Je me retourne tranquillement vers elle.  Au cas où je me rendrais compte qu’elle est schizophrène et qu’elle parle toute seule.  Non.  C’est à moi qu’elle parle.
-    Une Sitcom.
-    Une quoi ?!?
-    Une Comédie de Situation.
-    Ah oui ! j’aime ça, moi, des ComSit.
-    Sitcom
-    Ma sotcim préférée c’était les Dames de Coeur.
-    SITCOM !  Et non, ça, c’était pas une sitcom, c’était plus…
-    Pis c’est quoi votre idée de Somcit.
Ce n’est pas que je ne veux pas lui parler, mais on dirait qu’elle ne m’écoute pas. De plus, un grand philosophe du vingtième siècle, Bertrand Vac, qui grâce à moi sera connu d’au moins 30 personnes de plus, a dit : « Moins on a d’idées, plus on y tient ».  Et ces temps-ci, je tiens particulièrement beaucoup à mes idées.  Pas que j’en ai moins, mais disons que les bonnes doivent être parties en vacances sur le bord de la mer.
Elle, par contre, elle doit en avoir beaucoup parce qu’elle veut absolument me raconter son projet de téléroman.
-    Moi j’ai eu une idée vraiment géniale.  C’est l’histoire d’une nouvelle professeure d’école secondaire ambitieuse, qui donne des cours a des groupes en difficulté.  On voit aussi sa vie privée pis celle de ses parents...
-    Ouin mais c’est pareil comme « Virginie » de Fabienne Larouche.
-    C’est quoi ça, « Virginie ?!? »
Non mais quant est-ce que tu vas apprendre à fermer ta gueule, Phil ?!?  Tu ne peux pas passer une journée sans lancer la vie de quelqu’un dans un baril d’acide citrique. Je me serais fais prendre par mes parents, en train de me masturber, devant la section « brassières » du catalogue Sears, que je me serais senti moins mal.  Dans sa face, je vois que je l’ai blessée.  Je lui aurais dit qu’elle ne savait pas baiser qu’elle aurait été moins déçue.  Et je sais de quoi je parle.  J’enfile mes patins et d’un élan incroyable je me lance.
-    Ben peut-être que ça va être différent, vous allez sûrement avoir des meilleurs acteurs…
Le numéro 742 s’affiche en rouge au-dessus du corridor.
-    C’est mon tour mais bonne chance quand même.
Je laisse la femme jaser avec son désarroi.  Je longe un corridor qui mène à un bureau, derrière lequel se tient, je suppose, une fonctionnaire typique.  Quarante-trois ans qui n’est pas vraiment revenu à son poids santé après avoie eu deux enfants.  Le genre jupe noire trois quarts, bas de nylon gris, cheveux permanentés, sculptés à même un bloc de meringue.  Les yeux cachés par deux portes patio.  Sourire inexistant. 
-    Bonjour qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Et voilà ! 
La vie se décide enfin à me faire un clin d’oeil.  La demoiselle derrière le bureau n’a pas quarante-cinq ans et sûrement pas deux enfants.  Le gilet qu’elle porte est juste assez serré pour me donner une érection.  Elle a une petite coupe à la garçonne et deux morceaux de ciel à la place des yeux.  Et que dire de son sourire….  Disons que s’il était à vendre, le printemps serait le premier sur la liste des acheteurs potentiels.
-    Est-ce que je peux vous aider ?
Je suis complètement subjugué. Je la regarde sans sourciller, la mâchoire pendante, si j’étais dans un dessin animé j’aurais les yeux sortis de la tête et on verrait mon cœur battre à travers mon t-shirt.  Elle a le même effet sur moi que l’apparition d’un ensemble d’électroménagers pour un homme de Neandertal.  Sauf que moi je saurais quoi faire avec.
-    Euh… euh… oui… sûrement… du moins… je l’espère.
-    Asseyez-vous.
-    Vous voulez que j’essaye quoi ? ?
-    Asseyez-vous, pas essayez-vous !
-    Ah eh… je le sais…c’était un peu d’humour !
-    Je vois ça… prenez place l’humoriste.
-    Où ?
Allez Phil, ressaisis-toi.  Où ?!!!  Il y a deux chaises dans le bureau et elle est assise sur l’une des deux.  Prends l’autre ou la porte, mais arrête d’avoir l’air épais !
-    Scusez-moi je pensais à autre chose.
-    C’est correct, c’est la seule chose qui est gratuite de nos jours.
Je ris, et je ris et je ris comme si c’était la meilleure blague de l’année.  N’importe qui aurait rit aussi niaiseusement devant moi que je l’aurais traité de face de brosse à dents.  Mais elle ne semble pas s’en formaliser.
-    Alors c’est quoi votre projet ?
-    Mon projet est d’inviter une fille qui travaille au Conseil des Arts et des Lettres du Québec à un souper dans un petit resto du Vieux-Montréal.
Quoi ?  C’est pas ça que je voulais dire, ben c’est ça que je voulais dire, mais je n’étais pas supposé le dire.  Pas aussi directement en tout cas.  Pis si elle me répond que je suis con.  Si elle m’oblige à sortir de son bureau pis de déménager à Longueuil.  Fais lui un sourire Phil !  Non, un sourire qui a l’air moins épais.  Oui comme ça.  C’est bon !  J’espère qu’il me reste pas de miette du muffin que j’ai mangé en après midi…
Elle m’illumine une fois de plus de son sourire.
-    Si cette employée du Conseil des Arts et des Lettres du Québec vous disait qu’elle a déjà ce soir un souper avec son petit copain pour fêter leur troisième anniversaire de vie commune, que feriez-vous ?
-    Ben… je lui présenterais mon plan B.  Soit ma demande de subvention…
***

Je suis ressorti de son bureau avec trois choses.  Un « NON » officiel pour l’invitation à souper, un « PEUT-ÊTRE » incertain pour la subvention et un « OUI » assuré pour le fait que j’avais effectivement un morceau de muffin sur une de mes dents.
Elle est sublime.  En plein le genre de fille dont je rêve.  Surtout lorsque je fais des rêves où tout le monde est habillé.  Lorsque je rêve que je suis heureux, je me vois au bras d’une fille comme elle, avec une maison en campagne, des marmots qui courent partout, un chien qui me rapporte le bâton et une tondeuse qui part à la deuxième crinque. 
Plusieurs personnes plus âgées croient que la génération Passe-Partout n’a pas d’autres rêves que la célébrité, l’argent, le plaisir.  Je ne peux parler pour tout le monde mais j’ai des rêves.  De grands rêves et de plus petits.  Des rêves qui s’habillent parfois en petits bonheurs.  Moi je rêve de sourires, de chansons sur le bord d’un feu de camp, d’après-midi ensoleillés et de camisole aux bretelles spaghetti.  Je rêve de grains de pop-corn échappés dans la craque du divan en écoutant un film d’horreur en amoureux, de regarder un papillon se poser sur un goulot de bouteille de bière.  Je rêve d’écouter les Beatles en décapotable au Nouveau-Brunswick.  J’ai envie de chandail de laine en automne et de Big Mac juteux même si c’est mauvais pour la santé.  J’ai envie d’être effleuré sur une fesse par une fille que je ne connais pas.  J’ai envie de mettre des souliers de bowling et de sauter dans des flaques d’eau. Brancher mon vieux Nintendo, juste pour voir si j’ai encore le doigté.  Boire un verre de vin au sommet d’une montagne.  Écouter le vent dans les arbres.  Regarder des feux d’artifices avec des yeux d’enfant et faire « ohhh » lorsqu’ils explosent.  M’asseoir dans les marches d’une église pour regarder les gens passer.  Présentement, j’ai envie de la fille qui a un soleil à la place du sourire.   
Elle est exactement le genre de fille avec qui je tombe amoureux.  Une fille jolie, sympathique, ayant du caractère, un sens de l’humour, des yeux pleins de vie, un sourire à faire jalouser le mois de mai et surtout… qui a un chum depuis trois ans
***

  
  
Chapitre 9

Lorsque Cupidon se rend dans le cercle des frappeurs
 Strike Two…


Une femme sans homme,
c’est comme un poisson sans vélo.
-          Rodney Dart

            Je me suis inscrit à un cours de philosophie de soir à l’UQAM.  Philo 3510: La Question du Sujet.  Après six cours.  Je ne sais pas encore c’est quoi la question et encore moins de quel sujet on parle.   Pourquoi la philo ?  Ce n’est pas moi qui ai décidé.  J’ai seulement suivi une petite demoiselle au crâne rasé et au visage d’ange qui entrait dans une classe.  Après une semaine, j’étais inscrit; après trois semaines, j’avais réussi à lui parler de son coffre à crayon et après six semaines, je me suis décidé à l’inviter a aller prendre un verre.
   Isabelle devrait sortir bientôt de la classe.  Le prof, qui est un duplicata de Ronald McDonald, sans les cheveux rouges, bien sûr, lui explique, je ne sais trop quoi.  Je vais faire ma demande.  Elle s’approche.  Une face à claques l’arrête pour lui poser une question sur les secrets de sa beauté.  Non mais qu’est ce qu’il lui veut, ce moron ???  Laissez-moi une chance s’il vous plaît !!!  Elle l’écoute en tirant sur sa gomme. Lorsqu’elle fait cela, elle est drôlement belle.  Elle réussit à se débarrasser du fatiguant.  Je lui souris.  Regards vers le ciel, découragée par l’approche tout à fait non-subtile de la face à claques.  Elle me sourit
-    Qu’est-ce qu’il voulait ?
-    Il m’a demandé qu’est-ce que je mangeais pour être belle de même.
-    Ah…
-    Je lui ai répondu « jamais des gars avec des bas blancs »
Elle se met à rire.  Diable, que c’est beau une femme qui rit.  J’en ai profité pour vérifier la couleur de mes bas.
Allez Phil, demande lui pour un verre!  C’est le petit ange sur mon épaule qui me parle.  C’est drôle mais le petit diable, qui l’accompagne ne trouve rien à redire.
-    Il me semble qui fait soif,  tu trouves pas ?
Un peu vague comme demande.
-    Oui t’as raison.
-    Isabelle, ça te dirait qu’on…
Une très jolie jeune femme accourt vers nous.  Isabelle est jolie, mais elle est… est… magnifique.  À ma grande surprise, elles se lancent dans les bras l’une de l’autre et s’embrassent.  Et ce n’est pas un bec que deux filles peuvent se donner après une longue absence.  C’est un bec avec la langue !!!  Assis devant ma télé avec un film qui se regarde Kleenex en main, j’aurais été excité par l’idée de voir deux si jolies filles s’embrasser amoureusement.  Mais là!  Il y en a une des deux que j’allais inviter à sortir !
-    Phil, je te présente ma copine Béatrice.
-    Béatr… enchanté.  Depuis le temps que je voulais te rencontrer.
-    Ah oui, je ne pensais pas t’avoir parler d’elle.
-    Moi non plus !
-    Tu voulais que l’on aille prendre une bière, Phil ?  Béa va sûrement vouloir venir avec nous.  Hen Béa ??
Ok.  Je me suis inscrit à un cours de philo pour cette fille.  J’ai passé dix-huit heures de mon temps dans une classe avec un paquet de monde bizarre, (sans parler du prof qui doit avoir la construction d’édifices en bâtons de popsicle comme passe-temps) et tout cela pour cette fille.  J’ai jasé avec elle, je lui ai dit des petits mots doux, je me suis occupé de son manteau.  Et pour me remercier… elle est lesbienne!  
-    Oui, je peux bien aller prendre un verre avec vous !
Non mais c’est vrai qu’il y a de pires soirées que celles passer avec deux merveilleuses demoiselles sympathiques dans un bar où la bière coule à flots, et où les corps se tortillent au son de classiques des années 80.
Peut-être que je vais réussir à la faire changer d’équipe.  Peut-être que je suis l’homme qu’elle désire au fin fond d’elle-même. 
Il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée.  Et Isabelle est peut-être lesbienne, mais… elle n’est pas folle ! 
***


Chapitre 10

Samedi matin, le roi, la reine et son petit prince…




La vie est un téléroman où les scènes extérieures existent.
- Louis Courchesne.


   Juste regarder le réveil matin et me rendre compte que je peux encore dormir… et toute la journée si je le veux, me donne des frissons d’excitation dans le dos.  Tranquillement, je renfonce la tête dans mon oreiller et remonte la couverture jusqu’à mon nez.  Enfin une journée de congé.  Mon premier mois de retour au travail fut assez exigent « sommeillement » parlant.  Lorsque l’on se couche à minuit le soir, on peut, si on veut, se lever à trois heures du matin, mais on risque de trouver la journée longue, très longue.  Le samedi matin, c’est la porte d’entrée pour les bras Morphée.  Il n’y a rien qui presse.  La paix.  La tranquillité.  Le bonheur. 
   Ding Dong !!!
   Quoi ???  Qui est-ce qui peut venir sonner un samedi matin à neuf heures et quart ???   Ils ne dorment pas ce monde là.  J’attends.  Georges va sûrement aller répondre.
   Ding Dong !!!
   Non, mais qu’est-ce qu’il fait ?  Ah oui, c’est vrai, il est parti coucher chez la petite rouquine qu’il a rencontrée hier soir.  Il doit dormir lui aussi…
   Ding Dong !!!
   Mais lui il n’y a rien qui va le réveiller à neuf heures et quart, sauf peut-être un joli petit bec rouquin qui sent le shampooing à la pomme.
   Ding Dong !!!
-    Oui, j’arrive, une minute !
En sortant des draps, j’attrape ma paire de jeans, et tente de les mettre en sautillant jusqu’à la porte.  Voici la partie burlesque du spectacle de ma vie.  Le but du jeu c’est de ne pas me casser la figure.  Beding Bedang !  Sacrement !
Ding Dong !!!
J’ouvre la porte frustré.
-    Quoi ???
-    Allô mon chou…
Qu’est-ce qu’ils font là ??? Ils ne dorment pas, eux autres, le samedi matin ?  Ma mère m’embrasse et entre dans l’appartement suivi de mon frère et de mon père, qui font signe que c’est son idée à elle de venir à Montréal.  Juste à regarder le visage vert de mon frère, je peux voir que, lui, il dort habituellement le samedi matin.  Il va d’ailleurs s’écraser sur le divan du salon pour écouter la télé.  C’est de ça que j’avais l’air à quatorze ans ?  J’ai quasiment le goût de recommencer une nouvelle déprime.
-    Mon Dieu c’est donc ben à l’envers ici !
-    Euh… c’est parce que samedi c’est le jour du ménage.  J’allais justement commencer.
Elle se dirige vers le réfrigérateur. 
-    J’espère que tu t’alimentes bien.
Là ça risque de se corser !
-    Quoi, de la bière, du Cheez Whiz et du pain, c’est tout ce que tu as dans ton frigo ?
-    Non, non, si tu regardes comme il faut, il y a un pot de pickels au fond.
-    C’est pas une manière de s’alimenter ça !!
-    Oui mais j’ai les quatre groupes alimentaires.  Les fruits et légumes avec les pickels, les céréales avec le pain, les produits laitiers avec le Cheez Whiz et pour ce qui est de la viande… ben … on dit souvent qu’une bière égale un steak, alors j’ai tout.
-    T’es aussi niaiseux qu’avant.  Elle se tourne vers mon frère et mon père. « Allez chercher ce que l’on a amené pour Phil dans l’auto ! »
-    Non mais tu pourrais commencer par lui dire bonjour à ton petit gars.
Là c’est mon père qui vient de parler.  Il est assez rare qu’il obstine ma mère.  Mais quelques fois il décide de délaisser sa jupe pour une belle grosse paire de Big Bill bleue et je peux vous dire que c’est assez impressionnant.
-    Je m’excuse, mon chou.  Ça va bien ?
-    Oui maman, ça va mieux.
Je ramasse la brassière d’une des conquêtes de Georges qui traîne sur le coin de la table de cuisine et la cache dans le fourneau.  Je les invite à s’asseoir.
-    Voulez-vous quelque chose à boire ?
-    Moi, je vais prendre une bière.
-    Moéssi.
Le deuxième, c’est mon frère, qui s’essaye encore.
-    Non, toi, tu vas aller au dépanneur à côté chercher un café pour maman pis un jus pour toi.
-    Pourkoicéferkecémoéquiiva ?.
Mon frère est un vrai adolescent, on ne comprend absolument rien lorsqu’il parle.  Je lui tends cinq dollars et il quitte l’appartement.  Ma mère attend qu’il ait refermé la porte.
-    Puis, est-ce que tu as une nouvelle petite amie ?
-    Non.
-    Qu’est-ce que tu attends ?
-    J’attends de tomber sur la bonne.
-    Mais tu cherches-tu un peu au moins ? poursuit mon père.
-    Un peu.
-    La femme qui travaille avec ta mère a une fille qui vient de déménager à Montréal.
-    Ouin, pis ??
-    Pis, elle se cherchait quelqu’un pour connaître la ville
Oh oh !  Tous aux abris !  C’est comme lorsque, l’hiver, la voiture dérape sur la glace.  On voit le poteau de téléphone, l’autre voiture et la cabine téléphonique approcher mais on ne peut rien faire.  C’est certain que l’on va frapper l’un d’eux, lequel ?  C’est ça le suspense.
-    Donc je lui ai proposé ton aide, surtout que tu as presque tous tes après-midi de libres.
-    Oh…M’an, qu’est ce que t’as fait là ?  Tu le sais, que j’haïs ça.
-    Oui mais elle avait tellement l’air inquiète pour sa fille, que je me suis dit que ça te ferait plaisir de l’aider.
Dépêchez-vous, Phil a le pied pris dans un piège de renard à ours !
***


Chapitre 11

Lorsque Cupidon se rend au marbre

Strike Three…
You’re Out !!!



“I’m afraid of Britney Spears and Christina Aguilera”
- Liveonrelease

   Mardi après-midi, Place des Arts.  Nos deux mères ont tout organisé.  Je pourrai la reconnaître à son sac à dos bleu et elle m’identifiera à ma casquette noire.  Sauf qu’il y un problème, je ne sais pas si c’est une convention de propriétaires de sac à dos bleu qui se déroule présentement mais il y en a au moins 327 dans mon champ de vision.  C’est comme si Dieu, voulant me punir pour l’ensemble de mon oeuvre, était au coin de la rue avec un camion plein de sac à dos et qu’il les distribuait à tout le monde.
   Bien sûr, je pourrais essayer d’identifier celle que j’aimerais qui soit ma cliente touristique.  Mais c’est un jeu assez difficile.  Il y a les filles avec qui je voudrais sortir et il y a les filles avec qui je peux sortir.  Énorme différence.  Par exemple, la fille au capri beige avec de long cheveux blonds, des lunettes soleil sur la tête et le chemisier à travers le quel on voit sa brassière noire.  Elle, n’importe quand !  Mais est-ce que je peux ?  C’est une très jolie fille, mais elle le sait et son chum aux gros bras aussi.  Y a rien de plus chiant qu’une jolie fille qui l’assume trop.  Le gars vient de voir que je regarde sa blonde, il s’approche d’elle et lui met une main sur une fesse.  Il marque son territoire.  Le chien pisse autour du terrain, le gars met une main sur une fesse.  Le chien s’est fait avoir dans cette histoire.  De toute façon, plus je regarde ce couple, plus je me rends compte que je ne suis pas assez du style « Honda Civic avec des néons en dessous » pour cette fille là.  Je ne serais pas assez « Lovers de Brossard » pour elle.  Tant pis !
Après quelques minutes, avec les mouvements de foule, il ne reste que deux filles avec le fameux objet devant moi. 
La première est très jolie, grande, mince, cheveux noirs, yeux bleus, semble simple.  Elle porte une petite jupe accordéon et un chandail de laine.
La deuxième a des cheveux verts, attachés en queue de cheval, des yeux bruns et elle mesure à peine cinq pieds.  Et je dois oublier la petite jupe, elle porte une paire de jeans trouée et un espèce de chapeau bizarre qu’elle a sûrement gagné dans l’exposition agricole de son patelin en pétant des ballounes avec des dards. Le tout lui donne des airs d’extra-terrestres.  Pas besoin d’être Nostradamus pour savoir que c’est la mienne.
Je jette un dernier coup d’oeil à la grande mince qui se dirige vers la rue St-Laurent et je m’approche de la « Martienne »
-    Bonjour est-ce que c’est toi Martine ??
-    Ouiap !
La demoiselle a à peine 17 ans. Elle pourrait presque sortir avec mon frère, s’il était le moindrement mature.  Elle me regarde quelques instants.
-    Toi c’est Phil ?
-    Oui.
-    Eille je peux tu être franche avec toi ???
-    Oui, oui !
-    Ça me tente pas pantoute de visiter Montréal avec toi.  Pis de toute façon mes chums m’attendent là-bas, facque merci de t’être déplacé, pis à la prochaine.
Sur ce, elle tourne les talons et court vers ses amis.  Planté là, dans les marches de la Place des Arts, je regarde le vide.  Léger moment de néant.  Je me suis déjà fait virer de bord par des filles trop sportives pour moi, je me suis déjà fait virer de bord par des filles plus intelligentes que moi, mais c’est la première fois que je me fais virer de bord par une fille qui croit que « Pink Floyd » c’est le nom d’un Pokémon.  Toute une après-midi de ménage de l’appartement manquée pour elle.  Je ne sais plus quoi faire de ma journée.
Finalement, je me mets à courir vers la rue St-Laurent.
-    Mademoiselle, oui, vous, avec la jupe accordéon, attendez-moi, je peux vous faire visiter Montréal, si vous voulez !
***


Chapitre 12


Le blues de l’amour



En vieillissant, tout le monde fini par vouloir perdre à la tag BBQ.
-          Snick

Il y a 14 521 craques de trottoir de l’appart au boulot.  Il y a 18 salles de cinéma près de chez moi.  Il y a 8 salles avec 321 sièges et 10 autres avec 191 sièges.  Le plus gros hit musical joue en moyenne deux fois l’heure sur les grosses chaînes commerciales.  Dans le film la Guerre des Tuques, il y a 43 tuques et 81 mitaines.  Il y a 26 trous dans les biscuits Village et pas d’accent sur le E du biscuit Oréo.  Il y a 15 tranches de pain dans un pain tranché.  On peut écrire le mot SOLEIL à l’envers sur une calculatrice.  Il y a neuf tomates et deux carottes sur la bouteille de 1,89 litres de jus de tomates V8.
***

Le blues de l’amour.  Je devrais peut-être dire le bleu de l’amour.  Parce que l’amour, c’est comme un bleu justement.  Ça fait mal sur le coup, on reste marqué quelques temps mais après c’est douloureux seulement si on y touche.
Bien sûr ce n’est pas comme un vrai bleu, c’est psychologiquement que c’est douloureux.  Le pire, c’est que la plupart du temps, les personnes qui font mal ne le savent même pas.  Présentement, mes amis ont tous des blondes.  Même Georges a décidé de s’accoter pour la peine, ça fait trois jours qu’il fréquente la même fille. 
Moi, je n’ai pas de blonde, du moins pas encore.  Lorsque vient le temps de faire quelque chose, j’ai toutes les misères du monde à trouver quelqu’un pour sortir.
Je téléphone à Patof, c’est le seul qui n’a pas une blonde « officielle ».
Première sonnerie.
Deuxième sonnerie.
Troisième sonnerie.
On décroche.
Le combiné tombe.
-    Oui allo ?
Il a la voix essouflée.
-    Salut Patof, c’est Phil, ça va ?
-    Han han…
-    Je te déranges-tu ?
Je connais déjà la réponse, mais j’essaye de gagner du temps.
-    Non, pas du tout, j’étais en train de me taper une merveilleuse partie de fesses.
-    Ah bon, ben bonne soirée là, amusez-vous bien.  Pis surtout n’oublie pas, si vous faites le mal faites le bien car le mal bien fait ne fait pas bien mal et surtout fait pas mal de bien, et …
Il a déjà raccroché.
J’avoue que mon histoire de bien et mal était pas si originale mais quand même…
C’est comme si un congélateur venait de se stationner sur mon pied.  Je suis heureux pour mes amis, je suis content qu’ils aient une petite copine vers qui se retourner pour avoir de la chaleur.  Mais est-ce qu’il y a une personne sur cette planète qui voudrait penser à moi ?  Moi aussi, j’existe; moi aussi je voudrais peser sur le bleu de quelqu’un d’autre. 
J’aimerais, le dimanche après-midi, me promener dans le Vieux-Montréal, main dans la main avec la personne que j’aime et partager une crème glacée molle.  Pouvoir lui dire des petits mots doux au creux de l’oreille tout en prenant une grande bouffée de son parfum, et de ressentir le plaisir d’être deux.  Pouvoir crier sur tous les toits mon amour pour la demoiselle qui tient ma main.  Présentement, lorsque je marche dans le Vieux, la seule chose que j’ai envie de crier c’est : «  Quatre piastres et demie pour une crème glacée molle à la vanille, c’est du vol !!! »
Il y a un paquet de gars, que je qualifierais de « bon gars » qui sont sans blonde.  Pourtant, les Imbéciles ont tous des demoiselles à leurs côtés.  Pourquoi ?  De plus, ce n’est jamais des pichous, c’est des conquérantes probables de mon cœur ou au pire des candidates pour devenir « pit girls » au Grand Prix.
L’Imbécile typique (avec un « I » majuscule S.V.P.) est un gars rempli de lui-même, ayant un ego suffisamment gros pour faire salle comble aux matchs des Expos.  Il a la voiture de papa et l’orgueil de maman.  Si on lui enlevait les mots cul, testicules, seins, fesses et pénis de son vocabulaire, il aurait des problèmes à être admis en français de deuxième année.  De plus, l’Imbécile de classe mondiale a des biceps inversement proportionnels à la grosseur d’une arachide.  Mais cette dernière est tout à fait proportionnelle à la grosseur de son cerveau!  Normalement, il a une Civic avec des mags à deux milles piastres et un néon autour de sa plaque d’immatriculation.
Et le pire c’est que, même si les filles disent préférer les bons gars, c’est avec des Imbéciles de classe internationale qu’elles sortent.  Ils n’apportent jamais de fleurs, ils ne pensent pas aux événements importants.  Pour eux un événement important, c’est un tournoi de hockey ou un changement d’huile sur son char. 
Moi si j’avais une fille juste à moitié sensass comme les filles qui sortent avec ces Imbéciles, je la demanderais en mariage avant même de savoir son nom.  « Bonjour mademoiselle, mon nom est Phil, voulez-vous m’épouser ? » 
Je serais comme un mini-wheat : un côté sérieux et nutritif et un autre comique avec un bon petit givrage sucré.  Moi, j’aimerais cette fille pour ce qu’elle est, peu importe le moment, peu importe la situation, peu importe ses gaffes, peu importe ce qu’elle porte ou comment elle est peignée.  Moi, j’aimerais une fille jusqu’à la fin de ses jours. 
Pour un sourire par jour, je donnerais une Voie Lactée d’amour.
Une chance que ma dépression est finie.  Je deviens romantique et poétique ou plutôt romantique et… pathétique ! 
***
Il suffirait qu’il y en ait une qui trouve le billet gagnant au fond de sa sacoche….  Les filles ont toujours de trop grosses sacoches !
***




Chapitre 13


La p’tite grenouille dit au crapaud…






Souriez à la vie;  la vie vous sourit que si on lui sourit d’abord.
-          Shargorodsky

Dilemme.  J’ai le choix entre une « merveilleuse » soirée à l’appart avec Georges et sa douce devant un film portugais dans lequel le moment le plus heavy du film c’est lorsque l’acteur principal croit avoir le SIDA, mais en réalité c’est un ongle incarné.  Ou bien je peux errer à la recherche de ma sélectionneuse de films à moi, quelque part dans un pub de Montréal.
Comme je n’ai pas envie de passer la soirée à entendre des « Je t’aime mon gros béluga » et des « Tu es mon p’tit chou-fleur à moi ».  J’irai voir si Aphrodite n’aurait pas un petit contrat à me mettre sur les bras ou dans les bras; c’est selon… 
Parfois, je souhaite que le hasard me donne la main et m’invite à aller danser. 
Il est assez rare que je vais veiller seul.  Habituellement je trouve toujours un comparse pour m’accompagner dans une quelconque collection de bouteilles.  Mais ce soir, personne.  Ils ont tous quelque chose de plus important à faire, du ménage, du travail, du sexe.  Je les comprends, moi aussi j’aimerais pouvoir faire du… ménage, ce soir. 
Je me retrouve donc seul devant un immense doorman.  Seul, est un bien grand mot.  En réalité, on est environ soixante-quatorze en file pour entrer dans la place.  Comme je ne porte pas de mini-jupe et que le portier n’a pas de faible pour les garçons à lunettes, je dois prendre ma soif en patience.  De toute façon, je ne suis pas vraiment presser d’entrer.  Qu’est ce qu’il y a d’attirant d’un lieu qui est remplie de filles qui dansent pour le soleil !?!?!
Par la fenêtre, on voit le party qui se déroule à l’intérieur.  Le chansonnier gratte sa guitare, la bière coule à flots, le peu de place qu’il y a pour danser est envahi par des gars, par des filles, par des jeunes, par des moins jeunes et par… la fille qui, « à la place des yeux a deux morceaux de ciel et un sourire en camisole. »
-    S’cusez moi monsieur le portier, si je veux rentrer maintenant est-ce que je dois vraiment vous promettre de vous sucer avant de déjeuner demain matin ?
***
Quinze minutes qu’il m’a fallu pour entrer.  Quinze minutes à la regarder à travers la fenêtre.  Quinze minutes à me faire regarder comme si j’étais un Haïtien en habit de ski-doo par le gars assis face à la fenêtre.
En entrant je me dirige vers le bar.  Je lui jette des coups d’œil à la dérobée.  J’espère qu’elle me verra, j’ai un sourire tout prêt à lui offrir.  Un sourire que je dégainerai à la moindre intention de sa pupille d’aller dans ma direction.  Elle ne me voit pas.  Elle danse les yeux fermés en chantant les paroles à voix basse.  À moins qu’elle soit schizophrène et qu’elle parle toute seule.  Ce qui la rend encore plus désirable.
L’important au départ, c’est de bien analyser la situation.  C’est très mal vu de commencer à cruiser une fille qui danse, surtout si son chum regarde la scène de la table voisine et qu’il pèse six pieds quatre.  Il ne faut vraiment pas se fier aux filles pour nous dire que leur amant est là.  Elles préfèrent attendre que ce dernier nous le dise lui-même question de garder de douloureux souvenirs de la soirée.
Elle semble être venue seule.  Comme moi, comme tout le monde dans le bar.  Au départ, il faut être un peu seul pour fréquenter les bars.  Ces endroits sombres et emboucanés, où les solitaires du monde entier se retrouvent tard le soir.  Certains pour oublier leurs malheurs, d’autres pour noyer leurs bonheurs, tous pour se faire croire qu’on est moins seul en groupe.
Elle n’a aucun soupirant officiel à l’horizon.  Bien sûr, il y a les trois gars assis dans le coin qui bavent dans leur pichet en la regardant.  Le chef de la bande, un gros roux, décide d’aller faire la danse de l’artichaut aux côtés du Sourire.  Qu’est-ce que j’ai fais à l’association des roux du Québec pour qu’ils soient toujours dans mes jambes comme ça ?!?
On dirait que l’homme a une fourmilière dans ses boxers tellement il gigote.  Le Sourire semble de plus en plus trouver qu’il est fatiguant.
Je ne crois pas avoir l’âme d’un super-héros.  Disons que, dans ma tête, une cape ce n’est pas vraiment pour voler à la rescousse des opprimés mais beaucoup plus pour couvrir des meubles lorsque l’on fait de la peinture.  Mais cette fois, c’est différent.  Je le prends un peu personnel.  Non, pas que j’ai quelque chose contre les roux qui dansent comme un « blender ».  Ce n’est pas non plus parce qu’il tourne autour de la plus jolie fille de l’endroit.  Mais la seule raison que j’ai vraiment trouvé pour le détester c’est qu’il… euh… c’est qu’il a des… c’est queuh….  Pis oui je le déteste !  S’il faut avoir des raisons pour tout.  De toute façon, Feydeau a dit : « les hommes des femmes qui nous plaisent sont toujours des imbéciles.»
Elle semble d’ailleurs chercher du renfort des yeux.  Et c’est à ce moment là que son merveilleux regard croise le mien.  Je tente de lui faire le plus beau sourire imbécile que je suis capable.  Ce n’est pas assez.  Il y a des jours dans la vie où même un super-héros se doit de faire des sacrifices.  Alors tant qu’à mourir, aussi bien mourir la tête haute.
- Hey ! « Catherine » !  Comment ça va ? Fait longtemps que je ne t’ai pas vu !  Qu’est ce que tu fais de bon ?  Moi ?  Je suis rendu coach de boxe en Californie…
Je l’amène tranquillement à l’écart du plancher de danse.  Je donnerais toute ma fortune, (ce qui n’est pas tant que ça) pour voir la face du rouquin qui voit cette « Catherine » s’éloigner au bras, de l’homme le plus heureux du bar.
Nous nous accotons au comptoir.  Elle m’offre une bière.  Une fille qui paie la première bière, je trouve ça galant.  C’est de la galanterie inversée.  La femme qui ouvre la porte à son mari, la fille qui fait les premiers pas, la fille qui fait la demande en mariage… je trouve ça différent et amusant.
-    Merci, de m’avoir sortie du pétrin, mais je ne m’appelle pas Catherine, en passant.
-    J’avoue que je me serais vraiment impressionner si j’étais tomber sur le bon nom du premier coup.
Silence
-    Moi, c’est Phil, je suis scripteur.
-    Ah, il me semblait bien que ton visage me disait quelque chose.  C’est toi qui invite n’importe qui à souper.
-    Votre Honneur, mon client aimerait plaider la folie !
-    Moi c’est Rebecca. 
***
Elle a un chat qui s’appelle « Ça », elle étudie en communication à l’UQAM, elle travaille au Conseil des Arts et des lettres du Québec à temps partiel.  Sa couleur préférée est le bleu et elle adore les Cowboys Fringants.  Elle boit de la « 50 » et quelque fois de la Téquila.
En gros, c’est ce que j’ai appris de Rebecca jusqu’à maintenant.  Elle me parle de tout et de rien.  Mais surtout de rien.  Parce qu’il n’y a qu’une question qui répondrait à tout.  « As-tu encore un chum ? ».  Mais à chaque fois que je vais la lui poser, je me rappelle une phrase de Georges :  « Si la fille à un chum, tu le sais dans les cinq premières minutes de conversation ».  C’est vrai les filles glissent toujours un petit : « Moi pis mon chum… » ou « C’est quand que j’ai dit à mon chum… » ou encore « Moi pis Éric on était couché l’autre soir pis là… » 
Je me dis que si ça fait deux heures et demi que je lui parle et que le seul nom masculin qu’elle a dit à répétition c’est « Mon Ex », je suis sur la bonne voie.  Mais mieux vaut vérifier deux fois plutôt qu’une : « Pis qu’est qui est arrivé avec ton chum avec qui t’as fêté « ton troisième anniversaire de vie commune », le soir que je t’ai invitée a souper ?
Ben y m’a triché avec une blonde avec des gros totons… »
Je ne peux m’empêcher de sourire.
***

         De la bière, du monde, un chansonnier, une merveilleuse fille et un abruti comme moi.  Avec tous ces ingrédients, il était évident que la situation allait rapidement dégénérée.
         « Et maintenant, s’il y en a qui la savent vous pouvez chanter avec moi… ».  Le chansonnier vient de faire un appel à tous.  La majorité des chansonniers sont gênés de chanter cette hymne au sexe d’André Guitare.  « La p’tite grenouille dit au crapaud, donne moi trente sous t’auras de la peau… »
         Je me lève pour aller chercher d’autres bières.  Je me sens comme un globule rouge sous un microscope.  Le moindre de mes mouvements est observé par deux magnifiques yeux bleus.  À mon retour, Rebecca se mordille la lèvre inférieure.
-   Si mettons j’avais le projet d’inviter un scénariste-radio pour aller luncher.  En auriez-vous un à me présenter ?
-   Vite, vite comme ça.  Je le sais pas.  Peut-être si on regarde autour.
Avec grâce, elle me dévoile l’oeuvre d’art qui lui sert de sourire.
-   J’ai deux mots à dire à quelqu’un avant de partir, je te rejoins dehors.
-   Dehors ?  Comme à l’extérieur genre ? 
Je me lève comme un automate et me dirige vers la sortie.  Mais contrairement aux robots qui n’on pas d’émotions, j’en ai environ deux milles quatre cents dix-sept en même temps.  Des émotions qui vont de heureux à content en passant par joyeux et gai.
-          Monsieur, vos bières sont pleines !
Je me retourne et fais un splendide sourire imbécile au serveur.  Le sourire d’un gars amoureux !
C’est à ce moment que je remarque Rebecca qui s’approche du rouquin et de sa gang.  Il la voit arriver.  Ne pouvant s’empêcher d’être fier de lui, il dit : « Le twit a pas réussi à te ramener chez eux.  Pas fort ! » 
« Je m’en venais juste te souhaiter bonne chance dans la vie, parce que la réussite n’est sûrement pas à ta porté, surtout avec la face que t’as.  Mais comme t’insultes mes amis, j’ai pas vraiment le choix »   Rebecca prend alors le pichet presque plein de bière et lui verse carrément sur la tête.  « Bonne fin de journée ».
Nous sommes sortis du bar sous les applaudissements nourris de toute la clientèle féminine de la place…
« Ah si mon cœur était Grenouille… »
***



Chapitre 14


Question de  Papillons




À force de faire semblant d’être amoureux, on le devient pour vrai.
-          F. Beigbeder





Un lunch, du magasinage, une soirée de cinéma, un party, quelques bières, un concert, deux ou trois parties de billard et ce soir un souper chez Sophie, la nouvelle blonde de Georges.  Voilà en gros le curriculum vitae de ma relation avec Rebecca.  Jusqu’à maintenant, il n’y a rien d’officiel, plus ou moins d’officieux et plein de remarques peu subtiles de la part de mes chums.
-    Phil tu pourrais me présenter la jolie demoiselle qui t’accompagne.
Patof tente déjà de la faire tomber sous son charme.
-    Non.  Y en est pas question !!!
-    Quoi tu sors-tu avec ?
Je regarde Rebecca, gêné.  Je me sens rougir…
-    Oui… euh… non… pfiou… euh… est-ce que quelqu’un connaît un bon restaurant Inuit ?
-    Ça ressemble à quoi de la bouffe Inuit ?, demande Flag. « Ils mangent pas juste de la glace ce monde là ? »
-    Ben sortez-vous ensemble oui ou non ?, insiste Patof.
Si j’avais été Dieu ou une puissance céleste j’aurais choisi ce moment précis pour balancer sur la tête de Patof une brique, un fanal ou une cabine téléphonique.
À la place, il m’envoie Sophie.
-    Rebecca viendrais-tu m’aider deux minutes…
J’inscrirai son nom sur ma liste des personnes à embrasser au jour de l’An.  Et celui de Patof dans celle des gens à étriper à n’importe quel moment de l’année.
Patof, Flag et Georges me regardent sans parler.  Je voudrais courir au miroir le plus proche, afin de vérifier si je n’ai pas un bec de pingouin qui vient de me pousser au visage.  C’est Georges qui brise le silence le premier.
-    Qu’est ce que t’attends ?
-    J’attends d’être certain…
-    Certain de quoi ??? Que c’est vraiment une fille !?!, rajoute Patof. 
-    Ben, si ça peux vous aider, j’ai remarqué tantôt, elle porte une brassière, ça doit être un signe...
-    Ah Flag, ta gueule !  Je le sais pas les gars… si je suis « game »…
-    T’es donc ben épais.  Vas-y.
-    Est-ce que tu l’aimes Phil ?
En amour ou pas en amour, là est la question!
C’est quoi l’amour d’abord ?  Avoir des papillons dans l’estomac  en pensant à l’être aimé ?  J’aime le Cheez Whiz et parfois ça me donne des papillons, mais ça doit pas être pour les mêmes raisons.  Lorsque je pense à Rebecca, je la vois souriante.  Je la vois comme lorsqu’elle dansait au bar.  Je la vois dans mes bras.  Je la vois avec moi pour la vie.
-    Oui mais si elle me dit non ?
Je ne suis pas Capitaine Courage.  Il m’arrive d’avoir peur.  J’ai peur de plein de choses.  Des rats, des hauteurs, des tueurs en séries.  Mais ce qui me fait le plus peur c’est que les filles me disent « NON ».  Et encore plus que Rebecca me dise « non ». 
-    Eille le twit.  Écoutes-moi bien.  Cette fille là est allée manger avec toi, est allée prendre une bière avec toi, est même allée magasiner avec toi qui est la personne la plus désagréable que je connais dans un centre commercial.  Pis en plus ce soir, elle accepte de venir souper chez ma blonde, avec toi.  Tu lui a sûrement dis que Sophie est la pire cuisinière jusqu’à l’est de l’Asie et elle est quand même ici.  Phil, à mon avis le mot « Non » ne fait même plus partis du vocabulaire de Rebecca.
-    Oui je vais faire un move bientôt.
-    Pas bientôt; maintenant !!!  Rebecca es-tu occupée ?
-    Non !
Mes yeux croisent ceux de Georges.  Pour un mot qui ne fait plus parti de son vocabulaire… on n’a même pas eu le temps d’organiser une battue !
Le merveilleux sourire de Rebecca apparaît dans le cadre de porte.  Georges entraîne Patof et Flag qui ne comprennent rien vers la salle de bain.  Pourquoi la salle de bains ?  Parce qu’ils avaient choisi la cuisine ils auraient dû aider Sophie.  Un supplice que je ne ferai même pas subir à Hitler lui-même.
-    Qu’est-ce qu’ils font ? me demande Rebecca.
-    Je ne sais pas.  Sûrement se refaire le maquillage en jasant du super-pétard qui vient d’entrer dans le salon.
-    Tu trouves que je suis un super-pétard?
-    Euh…non !  Non, parce que si tu étais un super-pétard, je n’aurais aucune chance et aucune envie de sortir avec toi.  Tandis que si tu étais une fille extraordinaire avec un caractère exécrable, un humour subtil et un sourire magnifique, je pourrais facilement tomber plus qu’amoureux de toi.
Elle me fixe, silencieuse.  J’ai l’impression d’être à l’émission « The Price is Right ».  Bob Barker fait disparaître le petit carton qui camoufle le prix de la merveilleuse statuette chinoise plaquée aluminium sur laquelle je viens de tenter ma chance.  « So the price is… »
-    Je suis un peu déçue de ne pas être un super-pétard…
Appelez l’institut de cardiologie de Montréal, mon cœur vient de cessez de battre !!!
-    … mais je tiens particulièrement à mon sale caractère et encore plus à toi…
-    Je t’aime !
Oups !!!  Je voulais pas dire ça, ça a sorti tout seul !  Je n’ai pas pu le retenir plus longtemps.  Je l’ai dit. J’ai dit je t’aime.  Qu’est ce que ça implique ?  Est-ce qu’il faut que je choisisse une date de mariage ?  Ça va être qui mon garçon d’honneur?  Est-ce que les canapés au saumon en entrée c’est mieux qu’un potage? Comment est-ce qu’elle va réagir ?  Je ne le sais pas…  mais ça ne me dérange pas.  Ben… un peu… énormément.  Ça me dérange si ça a des conséquences positives, si elles sont négatives, ça me dérange aussi et j’aimerais que quelqu’un me flagelle sur la place publique pour le restant de l’éternité.
Le verdict s’il vous plaît madame la juge !  Elle me regarde, son sourire a disparu.  Je suis pris sous une avalanche de silences.  Je cherche mon souffle.  Ses yeux me fixent sans cligner.  J’aimerais plonger dans ses yeux, nager dans cette mer à l’eau si bleue afin de me rendre dans le lagon de ses pensées et d’y voir ce qu’il s’y passe.  Il y a un risque de 99,9% des chances que je me fasse manger tout rond par le pire des requins.  Le genre de requin qui ferait passer Jaws pour un ours en peluche.  Ben un requin en peluche.  Mais, il reste 0,1%.  Peut-être que je pourrai flotter avec les dauphins…
Tranquillement, elle s’approche de moi et je ne sais pas si c’est pour me prendre dans ses bras ou pour me découper en morceaux et me ranger dans le congélateur dans 172 petits sacs ziplocs.
Et elle m’embrasse.  Si j’avais été dans un film Hollywoodien, c’est à ce moment que serait parti les feux d’artifices et la fanfare, mais à la place c’est Sophie qui nous crie de la cuisine : « Le souper est prêt ! ».  Rebecca se recule délicatement et ouvre les yeux.  On dirait qu’elle vient de se réveiller.  Elle me sourit.  J’ai les jambes molles.
J’aurais envie de la prendre dans mes bras et de l’emmener loin.  Quelque part où nous serions seuls, où nous pourrions seulement se regarder dans les yeux, un endroit où nous n’aurions pas besoin de manger le souper de Sophie.  On dirait qu’elle a lu dans mes pensées car elle me lance :  « On ne peut pas partir comme ça.  Mais tu pourras m’embrasser comme ça aussi souvent que tu le voudras. » 
J’en profite au moins deux autres fois.  Je suis aussi heureux que la journée où mes parents ont fait installer un lave-vaisselles à la maison  J’ai devant moi la fille la plus magnifique que ma vie a croisée pendant le dernier quart de siècle.  Ce qui est pratiquement toute ma vie.   En plus je peux l’embrasser quand je le veux. 
Je lui souris.  Elle m’aurait permis de lui ronger les ongles d’orteils et j’aurais accepté.   
-    Je te rejoins à la cuisine, je vais aller chercher les gars.
Elle m’embrasse une autre fois avant de partir.  J’ai déjà un pincement d’ennui juste de la voir de dos.  Une fille de dos, une chose magnifique et pourtant si cruelle.
La porte de la salle de bain est barrée.
-    Les gars, le souper est prêt.
La tête de Patof apparaît dans l’ouverture.
-    Félicitations Phil.
-    Vous écoutiez ?!?
-    Un peu. 
Il me présente une barre de savon verte.
-    Georges était sérieusement en train de nous convaincre de manger un peu d’ « Irish Spring » avant le souper, il paraît que ça avantage le goût de la cuisine de Sophie !  T’en veux ?!?
***





Chapitre 15

Un couple à « Spin »

Je n’ai pas peur de voler, j’ai seulement peur de m’écraser.
-          Steven Wright


« Ça te déranges-tu si je laisse mon pantalon dans ton panier de linge sale? »
-   Si tu me les laisses, est-ce que c’est pour que je les lave ?
-   Non c’est pour que tu les portes pour ton meeting important.
-   Ben c’est parce que je pensais mettre ma chemise verte et tes pantalons sont verts aussi, ça me tente pas d’avoir l’air d’une épinette devant tous mes patrons pis…
-   Oui c’est pour que tu les laves !
Wooo… Déjà ?  Ça veux-tu dire que je suis vraiment en couple maintenant? Je commence à être en charge du lavage de ma blonde.  Elle laisse quelque chose d’aussi précieux que ses pantalons entre mes mains.  Elle ne sait pas ce que je suis capable de faire avec une laveuse et 1,5 litre de détergeant… D’habitude des dégâts.
-   Euh… Reb, tu penses tu vraiment qu’on est rendu là.
-   Rendu où ?
-   Ben à ce que je fasse ton lavage.  C’est les vrais couples qui font ça.
-   Mes parents sont un vrai couple et mon père n’est pas capable de faire la différence entre la laveuse pis la sécheuse.
-   C’est quand même tes pantalons préférés dont tu me donnes la responsabilité.
-   T’es donc ben bizarre Phil ?  As-tu bu du lait caillée pour déjeuner ?  C’est juste des pantalons.  Je sais que tu fais ton lavage aujourd’hui et j’ai besoin de ses pantalons là demain.
-   Ça te tente pas de me demander d’aller en acheter des nouveaux à la place.  Je trouve que c’est moins significatif.
-   Ça fait quoi si c’est significatif ?
Ouin, qu’est-ce que ça fait si c’est significatif.  Je l’aime Rebecca.  De quoi j’ai peur.  Je l’aime, elle m’aime, nous nous aimons… mais j’aimais Karine aussi et je me suis retrouvé quatre mois dans un état semi-végétatif sur le divan de Georges.
Et si je m’embarque dans le bolide d’une relation, qui est-ce qui va décider quand je vais en débarquer ?
J’ai eu mal une fois.  Une peine d’amour c’est se faire gratter le cœur avec un  hameçon rouillé jusqu’à ce qu’il ne reste que des chaires sanguinolentes, qui seront, par la suite, picossées par des corbeaux noirs.  Je ne veux plus avoir mal.
Je sais que toutes les filles ne sont pas nécessairement pareilles.  Même qu’habituellement les filles détestent être pareilles.  Mais si je recherche souvent le même genre de filles, avec des qualités semblables, il est fort probable que ces filles aient les défauts de leurs qualités. 
Qu’est-ce qui me dit qu’une belle fille qui a un magnifique sourire, un sens de l’humour tranchant et une habileté particulière à être baveuse n’est pas automatiquement quelqu’un qui à l’intention de profiter de moi pour quelques kilomètres pour ensuite me laisser choir sur le bord de la route de la vie.  Comme une vieille gente de 18 roues, qui pour le restant de sa vie va se faire passer sur le corps par des centaines de voitures.
Pourquoi Rebecca serait satisfaite de mes habiletés sexuelles et Karine ne l’était pas ?  Pourtant la recette est sensiblement la même.  Qu’est-ce qui me dit qu’un jour ça ne sera pas quelqu’un d’autres qui va laver les pantalons de Rebecca?
Je ne veux pas que ce soit quelqu’un d’autre qui lave les pantalons de Rebecca, je veux être ce quelqu’un d’autre. 
-   Je veux bien laver tes pantalons, c’est juste que je ne veux pas avoir mal, encore.
-   Tu sais qu’il ne faut pas que tu embarques dans la laveuse avec le linge…
-   Non, je te parles du mal d’amour.
-   Phil, pourrais-tu m’expliquer la fusion atomique, au moins ça serait plus clair.
-   Ce que je veux dire c’est que je veux laver tes pantalons.  Je veux que tu laisses une brosse à dents ici, je veux te donner une clé de l’appart.  Je veux tout ça.  J’ai le sentiment que toi et moi ça va aller loin.  Mais la dernière fois que j’ai eu cette impression là, je me suis retrouvé pas longtemps après avec la joie de vivre d’une larve.  Je sais qu’il n’y a rien pour m’assurer que ça va marcher.  Que même si tu me dis « que c’est pour la vie », demain matin, on peut tous les deux décider de ne plus s’aimer.  Et c’est ça qui me fait peur en lavant tes pantalons.
Le bleu de ses yeux tente de me pénétrer.  Elle cherche ses mots.  Les mots qui vont me faire plonger ou pas.  Les mots qui effaceront peut-être plus de quinze ans de vie amoureuse unijambiste.
- Phil, j’ai déjà eu mal moi aussi.  La moitié des gars que j’ai connu m’ont laissé parce que j’avais un sale caractère.  L’autre moitié c’est moi qui les ai laissés parce que j’avais un sale caractère.  Même si on s’était promis mer et monde.  C’est ça l’amour Phil.  Si tu plonges, tu sais pas sur quoi tu vas te fracasser le crâne ou encore pire le coeur.  Mais imagine qu’au fond il n’y a rien, pas de roche, pas d’algues, juste une eau rafraîchissante qui risque de faire partir cette couche de sueur amoureuse qui te recouvre tout le corps.  Facque mets ton costume de bain, pis plonge avec moi.
Je ne suis pas certain d’avoir très bien compris la métaphore avec la piscine et le plongeon.  Mais à mon avis ça veut dire exactement ce que je ressentais.
-   Ok, mais si mon costume de bain est au lavage, je peux tu le laver avec tes pantalons ?
***

 
Chapitre 16

Heureux comme un crapaud dans un trou de bouette



Son rire comme une musique à mes oreilles,
Son rire comme un rayon de soleil.
- Okoumé, « Son rire »

Maintenant, le mardi soir, lorsque je vais au cinéma, je veux voir des films avec Hugh Grant ou Freddie Prince Jr.  Il m’arrive régulièrement de passer deux heures par semaine à faire du ménage.  Lorsque je magasine des boxers, j’ai besoin de l’avis de quelqu’un d’autre avant d’acheter.  S’il manque de papier de toilette, je ne mets plus le rouleau sur le dessus du bol de toilettes et j’ai appris à utiliser le bâton qui sert de porte-rouleau.  Quand on me demande ce qu’il m’est arrivé, je réponds : « la plus belle chose au monde, une blonde ». 
Deux mois que je connais Rebecca, six semaines que j’ai le droit de lui toucher les fesses (ce qui était une augmentation de salaire considérable pour deux semaines de travail).  Et je suis heureux comme un crapaud dans un trou de bouette.  Même lorsque je sortais avec Karine ou n’importe quelles autres filles d’avant, je n’ai jamais ressenti autant de bonheur à ne rien faire d’excitant le samedi soir.
***

-    Alors est-ce que tu mets une cravate ?
-    Je le sais pas, tsé c’est quand même juste un petit souper ordinaire avec tes parents.
-    Oui mais c’est la première fois que tu les rencontres.
Est-ce que j’aurais pu l’oublier ?!?  Est-ce qu’on oublie le premier janvier.  Le 11 septembre.  Le 25 décembre ?  J’oublierai pas la date de ma rencontre avec mes beaux-parents.  Surtout que c’est tellement un moment important dans une relation de couple, la rencontre des parents.  Le premier baiser c’est magique.  Le premier souper c’est spécial.  La première rencontre avec les parents c’est… stressant.    
Et ses parents ont hâte de me rencontrer.  Ça fait trois semaines de suite qu’ils nous invitent à souper.  Le premier coup, je me suis défilé avec un copain que je devais aider à  déménager.  Georges, pour les besoins de la cause, s’est retrouvé à vivre chez sa blonde.  La deuxième fois, c’est une supposée entorse du foie qui m’a permis de manquer le souper.  Mais aujourd’hui, Rebecca m’a bien avertie, il pourrait pleuvoir des sandwichs au thon, je ne pourrais pas manquer ce souper.
-    Donc ta mère s’appelle Lucie, pis ton père Allaire.
-    Oui c’est ça…
-    Pis faut pas que je fasse de joke sur le nom de ton père, y aime pas ça !
Elle me sourit.  Ses grands yeux bleus me détaillent de la tête aux pieds.  Elle se mordille la lèvre inférieure.  C’est signe qu’elle a envie de faire quelque chose avec moi.  Elle plaque sa bouche sur la mienne.  Mes mains partent sous sa robe-soleil à la recherche d’un monde meilleur.  Re-re-re-redécouvrir un territoire où il fait chaud et humide, où les collines vont par deux et où la plaine est sans végétation.  Elle arrache ma ceinture et défait mon bouton de pantalon.  Je suis carrément en train de me faire violer !  Ah OK d’abord.
Comme je me prépare à y aller pour le grand coup.  Elle me dit :
-    Phil, mes parents nous attendent pour souper…
Elle retourne se préparer en riant.
-    Non, mais tu vas pas me laisser comme ça !
Elle regarde mon pénis qui joue au soldat entre mes jambes.
-    Non t’as raison ;
Rebecca s’approche et remonte mon pantalon.
-    Mon père va t’aimer mieux AVEC les pantalons.  Dépêche-toi, on va être en retard.
En retard, en retard.  Au point où l’on était rendu, ce n’est pas sept minutes de plus ou sept minutes de moins qui auraient fait la différence.
-    Avec les idées que tu me mets en tête surprend toi pas si je fais une déclaration d’amour au sofa de tes parents
-    Je ne suis pas inquiète, il a le coussin du postérieur trop large à ton goût
Elle m’embrase, effleure mon entre-jambe et, en entrant dans la salle de bain, me dit :
-    Tu devrais aussi mettre quelque chose qui pend autour de ton cou.
***

-    Comme ça, Phil, t’es un comique !
-    J’écris pour les comiques, ouais.
-    Conte-moi donc une joke.
Pourquoi est-ce que chaque fois que je dis que je fais de l’humour, on me demande de faire une joke ?  Quand je rencontre un dentiste, je ne lui demande pas de me faire un traitement de canal.
-    Papa, laisse-le tranquille, le souper est presque prêt.
-    Oui, mais c’est tu un comique ou c’en est pas un.
-    Ok Allaire, je vais t’en faire une.  Qu’est-ce que t’aurais fait si ton nom de famille avait été « Laffaire ».
-    Quoi ?
-    Votre nom monsieur ?  Laffaire, Allaire.
-    C’est pas une joke ça.
Il se retourne vers sa fille et lui chuchote à l’oreille : « Ce gars pourra jamais te faire vivre avec ses jokes.  Si y en a de besoin, j’ai une job pour lui dans ma shop de métal ».  Elle me regarde et me sourit.  Je serais un manchot, unijambiste, séropositif, borgne et au chômage et un sourire comme ça me permettrait de trouver la vie merveilleuse avec moi.
-    Ok tout le monde, prenez place à table, c’est prêt.
Si son père est un quinquagénaire qui porte des bas blancs dans ses sandales, la mère de Rebecca est l’image même de la parfaite femme au foyer.  Elle pourrait être la mascotte d’un cercle de fermière.  Sa maison est la seule place où elle a travaillé dans sa vie et elle semble heureuse.  Elle ressemble un peu à ma mère, mais AVEC des talents culinaires.  Elle s’approche de la table avec un énorme plat.  Ça me rappelle la cuisine de ma grand-mère.  Ce n’est pas de la fine cuisine, mais il y a un ingrédient qu’on ne retrouve dans aucun restaurant de la rue St-Laurent, de la gentillesse.
J’ai hâte de voir ce qu’on mange pour souper… du pain de viande. 
Je déteste le pain de viande.  C’est même la raison numéro un du pourquoi je suis parti de chez mes parents.
-    Toi Phil, une bonne portion.
-    Ben oui… j’aime tellement ça le pain de viande.
Sous la table, Rebecca pose sa main sur ma cuisse.  À l’exception de l’événement « JOKE », tout c’est bien passé jusqu’à maintenant.  Rebecca est avec moi.  Par ses yeux, par son sourire.  Je pense que c’est ça, l’amour.  Regarder la personne qu’on aime et comprendre que l’on peut dire à peu près n’importe quelle niaiserie, elle nous appuiera.  Comme une petite veilleuse dans la nuit, qui, même si on s’écrase le gros orteil sur le pied du lit est quand même là pour nous aider à estimer les dégâts.
***

   Dans la voiture, en retournant à la maison, Rebecca a la tête sur mon épaule.
-    Je pense que mon père t’aime bien.
-    Ben oui, si on enlève le fait que je me suis assis dans son fauteuil, que j’ai bu sa dernière bière et que je baise sa fille.  Il doit être fou de moi.
-    Lorsqu’on arrivera chez moi, je t’enlèverai cette horrible cravate, et je te montrerai comment la fille de mon père, t’adore, elle !
-    Tu veux me présenter ta soeur ?!?
***


Chapitre 17

Les Lionnes du cirque



I want to make you smile, whenever you’re sad.
- Adam Sandler, “ Grow old with you”

« Reviens me chercher vers 22 heures 30, on devrait avoir terminé. »  C’est ce qu’elle m’a dit avant de partir.  J’aurais dû porter plus attention au mot « devrait ». 
Il y a trois situations qui ne devraient jamais au grand jamais se produire sur cette Terre.   Il ne faudrait jamais qu’un pédophile devienne ministre de l’Éducation.  Il ne faudrait jamais qu’un membre du Klu Klux Klan se retrouve encagoulé dans Harlem à New York et surtout il ne faudrait JAMAIS qu’un gars soit invité dans un shower de bébé.
En entendant la sonnette retentir dans l’appartement, j’ai juste envie de me cacher dans la boîte aux lettres.
Une petite blondinette avec des lulus ouvre la porte, elle a les joues rougies par le vin.
-    Oui bonsoir…
-    Attends Marie… ça doit être pour moi.
Rebecca s’approche en riant d’une niaiserie qui vient de se dire à l’intérieur.
-    On est rendu au dessert…
-    Parfait, je vais t’attendre dans la voiture...
-    Non entre, je vais te présenter à mes amies.
-    Euh… non… J’ai pas de linge propre, j’ai du pudding à faire, j’ai un rendez-vous chez le l’orthodontiste…
-    Allez viens donc !
Elle me tire par la manche et m’entraîne vers la cuisine.
-    Ok les filles, je vous présente Phil, mon amoureux.
Son amoureux ?  Elle aurait pu dire son petit ami, son copain, son chum.  Mais non je suis son Amoureux.   Cool !
-    Ah c’est lui… qui t’empêche de sortir depuis deux mois et demi.
Finalement, un shower de bébé, c’est comme un vestiaire de gars.  C’est un champ de mines très personnelles.
Julie, Lisanne, Marie-Claude, Judith, Claudine, etc….  Je me sens comme dans un jeu questionnaire où Rebecca est l’animatrice.  « Veuillez associer le bon nom à la bonne caractéristique ».  Julie, enceinte.  Lisanne, meilleure amie.  Marie-Claude, lulus.  Judith, tom-boy.  Claudine, enceinte.  Non ça c’est Brigitte, qui est aussi enceinte mais ce n’est pas elle qu’on fête.  Par contre, le shower sert aussi de party de fête pour Manon…  « Désolé, le temps est désormais écoulé.  Heureusement, vous ne partez pas les mains vides.  Car en plus de notre merveilleux kit de sels de bain, vous obtenez aussi un baiser de l’animatrice ! »
Les filles me font une place à leur table.  C’est alors que j’aperçois un autre étranger.  Un autre pauvre bouc qui a été pris au piège.  Il a un drink de femme dans la main genre « Margarita » ou « Pina Colada ».  Sa bouche fait un rictus voulant dire que tous les breuvages au houblon ont été interdits de séjour dans l’appartement.
-    Phil je te présente Éric, le chum de Manon.
-    Enchanté, ça va ?
-    Je suis content que tu sois là.  Je me sentais autant à ma place qu’un nombril au milieu du front.
-    Attends un petit peu, laisse moi deviner… « Reviens me chercher vers 10h30, on DEVRAIT avoir fini ».
Éric lève son verre et laisse échapper un long soupir.
« Faites entrer les lionnes, les Chrétiens sont prêts ! »
***



Chapitre 18


Un monsieur attendait…






Pourquoi la vie n’a pas de mode d’emploi ?
- Yelo Molo, « Au départ »


- Phil, je suis en retard !
J’avais entendu cette phrase là des centaines de fois.  Parfois lorsqu’elle parlait de ses devoirs, quelque fois lorsque j’appelais à son bureau, souvent quand je la ramenais dans le lit, en la tirant par la ceinture, les matins où j’étais en congé.  Afin qu’elle se recouche quelques minutes de plus à côté de moi, question que je puisse prendre une ou deux bouffées d’air parfumée « Exclamation Blush ».  Aller renifler la goutte de parfum qu’elle a délicatement déposé du bout du doigt, derrière chacune de ses oreilles.  Mais présentement Rebecca est en coton ouaté, couchée contre moi sur le divan qui m’a servi de taudis pendant ma période de « remise en question » et elle a un peu de sauce à pizza sur le bord de la bouche dont je ne lui ai pas encore parlé.
-   Euh… c’est pas grave… tu prendras le prochain autobus.
-   Si c’est ce que je pense, tu vas voir que tu vas être pas mal dans l’autobus toi aussi.
-   C’est ce que j’avais peur…  T’es en retard dans tes menstruations ?
-   Je ne suis pas toujours constante, mais là j’ai presque deux semaines de retard, ce qui est beaucoup.
Là je cherche une niaiserie à dire, un petit quelque chose pour détendre l’atmosphère… et un petit quelque chose pour me détendre moi.
Deux mois, dans mon cas, c’est une longue relation, c’est quasiment des noces de spendex.  Mais même si j’adore Rebecca du plus profond de mon être, c’est un peu vite pour avoir un bébé.  Je ne suis pas vraiment prêt.  Les deux premiers mois d’une relation c’est comme la période d’échauffement d’une partie de hockey.  Tu peux vouloir beaucoup gagner et envoyer un paquet de rondelles dans le filet.  Mais la vraie partie c’est lorsque le sifflet se fait entendre.  Et dans ma tête, un bébé, c’est un méchant coup de sifflet.
Deux mois c’est pas beaucoup.  Il y a plein de chose que je ne sais pas encore sur Rebecca.  C’est quoi sa sorte de fleur préférée ?  Est-ce qu’elle porte des maillots deux pièces l’été ?  Est-ce qu’elle est pour ou contre l’avortement ?  Est-ce qu’elle a déjà fait de la prison ?  Est-ce que, elle aussi, ça l’écoeure le boudin ?  Est-ce qu’au primaire elle était du genre marelle ou ballon chasseur ?  Et là, en plus, avec le bébé ça va me faire une deuxième personne qu’il va falloir que je connaisse mieux.  Est-ce que le bébé va jouer au hockey ou il va absolument vouloir devenir membre d’un club de Dungeon and Dragons ? 
Ça va trop vite, il y a trop de choses.  Est-ce que je peux reculer dans le temps et me retrouver devant un gros roux aux mains grosses comme des colonnes de sons ?  Pourtant on a fait attention.  J’ai pris la pilule et elle a porté le condom… ou le contraire… du moins j’espère.
-   Phil j’aimerais ça faire un test…
-   Pas moi, je suis déjà assez stressé de même…
-   Je te parle d’un test de grossesse.
-   Ah, ok, je vais le faire.
-   Phil ?  Ça va ?
-   Oui, oui, c’est juste que tout l’intérieur de mon corps fait de l’hyper ventilation, mais c’est correct.
-   Va me chercher un test, on va voir tout de suite.
-   Euh… ok…
Je me lève comme un automate.  Un peu à cause de mon angoisse et beaucoup parce que Rebecca était couché sur ma jambe et qu’elle est toute engourdie.  J’ouvrais la porte de l’appartement, lorsque un flash me passe par la tête.
-   Rebecca ?  Aimes-tu ça le boudin ??
***

-   Pis on le sait tout de suite ?
-   Ben ça prend 10 minutes.
Dix minutes !  Ça prend dix minutes, pour savoir si le dix secondes de nirvana risque de se répercuter pendant les nuits des dix prochaines années. 
-   Ok pis ils savent ça, juste parce que t’as pisser sur ce bout de plastique là ?
-   En réalité ils le savent parce que j’ai pissé sur le bout de plastique que tu tiens présentement entre tes doigts.
-   Ah ouach !  Pis là il reste combien de temps ?
-   Neuf minutes Phil !
J’essaie de chanter une petite chanson pour me remonter le moral et aussi pour m’empêcher de me ronger les ongles jusqu’aux omoplates.  Mais la seule chanson qui me vient en tête c’est la chanson de Jordy : « C’est dur, dur d’être un bébé ».  Ok ça va bien, je suis stressé comme je ne l’ai jamais été, j’ai le dessous de bras tellement mouillé que Piscines Trévi veut me commanditer et j’ai juste envie de me tirer un coup de douze dans le front question que Jordy arrêtent de squatter mon crâne !
-   Pis là il reste combien de temps ?
-   Huit minutes.
Et si le bébé décide de me poser des questions, je n’ai pas toutes les réponses.  Je sais c’est qui René Lévesque, je sais c’est qui Maisonneuve, mais je ne le sais pas c’est qui Ontario !  Pis s’il me demande pourquoi ça existe les « Rotatos » de Star Frit?   Je réponds quoi ?  Je ne le connais pas l’inventeur de la super-balle, ni celui de l’escabeau et encore moins celui de la camisole pour homme.  Je ne suis pas assez intelligent pour avoir un enfant.
-   Ça doit au moins faire une autre minute ?
-   Oui !
Pis supposons qu’il me demande comment c’était dans mon temps ?  Qu’est-ce que je vais lui dire ?  Quand j’étais jeune il y avait des surprises DANS les boîtes de céréales, il n’y avait pas de codes barres à ramasser, il n’y avait rien à commander.  Quand j’étais jeune, le Canadien de Montréal était original en faisant jouer Mats Naslund, un Européen.  Quand j’étais jeune Céline Dion avait les dents croches et Nathalie Simard parlait avec une boîte à malle.  Quand j’étais jeune une émission bonne pour les enfant c’était Goldorak, les Mystérieuses Cités d’Or ou Candy.  Pas quatre grosses mascottes pastelles qui considèrent qu’un cintre croche c’est cool sur une tête.  Quand j’étais jeune ce n’était pas « weird » un jeune qui disait : « je m’en vais jouer dehors ».   Quand j’étais jeune, un ami violent à l’école c’était quelqu’un qui lançait des roches aux filles, pas un gars qui traîne un pistolet automatique dans sa boîte à lunch.
-   Pis main…
-   T’es fatiguant !  Il en reste cinq !
C’est vrai que je suis fatiguant.  Et si le bébé me trouve fatiguant lui aussi.  Ou pire, si moi je le trouve fatiguant !  Pour avoir un enfant, ça prend de la patience.  Je ne sais pas s’ils en vendent au Marché aux Puces de Saint-Eustache ?  Et Rebecca qui semble prendre ça de façon sereine.
-   Rebecca ?
-   « Il reste quatre minutes », qu’elle me répond exaspéré.
-   Je voulais savoir… est-ce que ça te stresses ?
-   Ben non, pantoute.  Je suis peut-être enceinte d’un gars que ça fait deux mois que je connais, qui freake juste à entendre le mot test de grossesse.  Un gars qui assez régulièrement semble vouloir les responsabilités d’un toaster quatre tranches…
-   Ben c’est parce que je niaise…
-   Pour être franche, je ne voulais pas t’en parler parce que je savais que tu réagirais comme ça !
-   Je réagis comment ?
-   Comme ça !  Tu freakes, à part me demander le temps qui reste pis de me faire chier, tu dis rien !  Tu veux même pas savoir c’est quoi mon intention si le test est positif ?  Je le garde, je me fais avorter, je le donne en adoption ?  La seule chose que tu penses c’est ce que toi tu vas faire.  Je veux pas que tu restes assis au bout du divan, t’as pas besoin de laisser tout de suite une place pour que le bébé s’asseoit.  J’aurais envie qu’on traverse ça ensemble.  Ça me rassurerait, si tu me serrais fort dans tes bras, pis que tu me disais que tout allais s’arranger.  Que tu m’aimes.  Mais non, toi tu te retrouves la tête entre les jambes.  À capoter.  À t’inventer des scénarios qui vont se classer dans la section « horreur » de ton club vidéo cervical.
Wow.  Elle est forte, elle me connaît beaucoup plus que moi je la connais.  Je ne lui en avais même pas parlé de mon club vidéo.  Elle sait ce que je pense.  Je m’approche d’elle.  Elle pleure.  Peut-être de peine, de stress ou de rage, mais elle pleure.  En la serrant dans mes bras, je me sens un peu con.  Con, qu’elle ait été obligée de me le demander avant que je le fasse.  Con, que notre première mini-chicane arrive en ce moment.  Et con, de ne pas avoir pensé à elle avant.  Pour une fille, être enceinte, ça implique beaucoup de choses.  Les changements physiques, les dépressions psychologiques, les obligations entraînées par sept livres et quart de chair criarde.  Les filles cherchent,  dès l’âge de 6 ans, des noms pour leurs enfants.  Je m’attardais stupidement à Mats Naslund, pendant que Rebecca devait penser à ce qu’elle avait fait au bon Dieu pour me mériter moi.
-   Rebecca je t’aime.
-   Moi aussi.  Je m’excuse d’avoir crier après toi.
-   C’est correct je le méritais amplement.  Même que je t’ai pris un rendez-vous pour demain, question de finir de me donner la marde que je mérite.
-   C’est fini !
-   Hein ?!?  J’ai dit que je m’excuse…
-   Ça fait dix minutes.  Regarde toi, moi je ne suis pas sûr de vouloir le savoir.
Je prends le morceau de plastique, par le bon bout cette fois.  Il y a un signe de couleur.  Ça veut dire quoi.  Positif ou négatif ?  Croix, barre, rouge, bleu.  C’est plus compliqué à comprendre qu’un film de Quentin Tarantino.  Positif ou négatif ?  Je cherche l’emballage dans la poubelle, je ne veux pas donner un mauvais verdict.  En comparant les symboles, je sens le regard de Rebecca sur moi.  Je lève les yeux, on se regarde.  Elle ne sait pas quoi faire.  Moi non plus.
-   « Je t’aime », que je lui dit en lui faisant, de la tête, un « non » soulagé.
***

            Disons que l’incident « Je suis en retard » nous a rapproché Rebecca et moi.  Je ne pourrais dire exactement comment.  Parce qu’un test de grossesse positif ça  doit rapprocher pas mal plus qu’un verdict négatif.  Mais nous avons quand même avancé dans l’épreuve en tant que couple.  J’essaie de réagir envers Rebecca, avant qu’elle soit obligée de me le demander.  De toute façon ce qu’elle me demande de faire, la prendre dans mes bras, lui dire je t’aime, la rassurer, c’est toutes des choses que j’ai envie de faire présentement… avec elle.
***

-   J’ai remarqué que tu t’étais fait un nouveau chum…
C’est ce moment que je choisis pour faire mon apparition en boxer au milieu du salon de Rebecca.  « Ça l’air » qu’elle répond en me jetant un regard à la dérobée.  Le proprio de Rebecca semble toujours à la recherche de quelqu’un avec qui parler.  Il a beau avoir plus d’une centaine de locataires chez qui il doit aller chercher le loyer le premier de chaque mois, il passe toujours un quinze à vingt minutes à jaser avec Rebecca.
-               Est-ce qu’il vit ici tout le temps ?
-               Quoi ?  On n’a pas le droit aux animaux de compagnie !
-               Hahaha, c’est comme si ton chum c’était ton animal de compagnie, est bonne.
-               Oui est bonne, que répond Rebecca avant qu’un silence de deux tonnes s’installe dans le cadre de porte.
-               Avez-vous l’intention de vivre ensemble éventuellement ?
Rebecca se tourne vers moi, une autre chose dont on n’avait pas parlé.  Après le test de grossesse, voilà le partage d’un loyer.
J’aurais voulu dire non, mais j’ai dit oui.  Et le pire c’est que Rebecca aussi à dit oui.
***


Chapitre 19

Pendons la crémaillère !






C’est toi le soleil, même quand il pleut,
Quand j’te vois, j’deviens niaiseux
- Richard Petit,  « Niaiseux »


   Trois étages, deux divans, un frigidaire, soixante-cinq boîtes, onze chums et deux caisses de vingt-quatre.
   C’est aujourd’hui que moi et Rebecca, on aménage ensemble.  OK, après trois mois, c’est peut-être un peu rapide, mais lorsque le propriétaire de Rebecca lui a parlé de cet appart dans le Quartier Latin, on ne pouvait pas dire non.
   Alors avec ma gang de flancs mous et quelques amies de Rebbie on a prit tout ce qu’il y avait dans son appartement, c’est à dire assez de stock pour remplir deux fois le camion.  Et ensuite tout ce que j’avais dans le mien… c’est à dire assez de stock pour remplir une demie valise de Mini-Austin.  Et on a monté le tout, ici.
Je suis assis sur une vingt-quatre avec un échantillon entre les mains.
-    C’est quoi la situation de la fille qui parle avec ta blonde?
Ça y est, Patof a attrapé le blues de l’amour.  Il vient d’entrer en période de chasse.  Dans son cas il est presque toujours en période de chasse.
-    C’est Lisanne, elle est célibataire et elle…
-    Ok merci j’en sais assez.
Sur ce, il s’approche de Lisanne et sort tous ses talents de Dom Juan.  Rebecca les laisses ensemble et vient s’asseoir sur la caisse de bière devant moi.  Elle est fatiguée, mais elle semble heureuse.
-    Dans combien de temps crois-tu qu’on sera tout seul ?
-    Aussitôt que nos « déménageurs » auront fini de chasser les coquerelles et de manger les huit pizzas extra-larges.  Pourquoi ?
Elle se mordille la lèvre inférieur et me fait un sourire plein de sous-entendus en jetant un coup d’œil autour.  Patof tente de faire rire Lisanne et les autres sont autour de la table dans une grande conversation sur la raison d’être de la pizza Hawaïenne.
Rebecca me prend la main et m’amène dans ce qui sera notre chambre à coucher.  Il n’y a aucun meuble pour l’instant, à part la table de salon.  Qu’est ce que la table de salon fait dans la chambre à coucher ?  Avant même d’avoir trouver la réponse, Rebecca me saute carrément dessus.  J’ai de la difficulté à respirer tellement elle m’embrasse.  Ses mains sont partout sur mon corps.  Je défais le bouton de son jeans et sa petite culotte m’invite à prendre un verre.  Est-ce qu’il y a quelque chose de plus joli qu’une culotte de femme?  Et je ne pense pas à quelque chose d’érotique, noir et en dentelles.  Seulement une petite culotte blanche toute simple.  C’est tellement beau.  Si, sur le marché noir, on est capable d’obtenir quelques millions de dollars pour un virus bactériologique mortel, imaginez ce qu’on pourrait avoir pour une petite culotte de femme comme ça.  
-    Je veux vivre avec toi pour le restant de mes jours.
-    Ça donne combien de temps ça ?  Parce que…
-    Eille ! 
Elle m’embrasse encore.
Flag ouvre la porte d’un coup sec.
-    Pis toi Phil, tu connais tu quelqu’un qui mange ça de la pizza Hawaïenne ?
-    Flag !  Fais de l’air !!!
-    Oups !!!, chuchote-t-il en refermant la porte.
Je crois que « Oups !!!»  c’est le premier son que Flag a fait en sortant du ventre de sa mère.  Ses parents, les médecins et l’Humanité tout entière auraient dû dire la même chose.
-          Allez Phil, aime moi fort !
Dans un déménagement, il y a vraiment des efforts plus faciles que d’autres à faire.
***

-    Bon y nous manque une horloge, une poubelle de salle de bain, des serviettes qui fittent avec la poubelle, un sucrier, un pile-patates, des chandelles, un tapis d’entrée, une lumière de salon, un porte-CD…
-    Rebbie, mon amour, tu veux tu m’épuiser ?
Nous sommes dans un énorme magasin à rayons, j’ai les bras charger d’items dont jusqu’à, il y a cinq minutes, j’ignorais non seulement l’utilité mais aussi l’existence.
-    Phil as-tu dis « m’épUIser » ou « m’épOUser » ?
-    Ça dépend si tu étais vieille, malade et extra riche, j’aurais dis « épOUser » mais dans la situation présente…
-    Ah va chier Phil !
Décorer un appartement avec une fille...  Ce serait plus facile de faire pencher la Tour de Pise sur l’autre bord.
Lorsqu’on décore un nid d'amour avec une fille, la liste des choses à acheter est triplée et celle des choses à faire tout simplement refilée au gars.
Il faut acheter des chandelles qui sentent la camomille, un recouvre-toaster de la même couleur que les napperons, un porte-épices, un plat pour le chat avec son nom inscrit dessus, une lavette pour faire la vaisselle, des napkins fluorescents.  Ça fait dix ans que je suis parti de chez mes parents et j’ai autant utilisé ces choses que Léonard de Vinci un agenda électronique.  Il faut acheter toutes ses choses qui sont « pri-mor-diales » du moins selon elle.  On est pareils dans le fond… Rebecca n’avait jamais eu cru nécessaire de s’acheter les deux choses que tout appartement habité par un homme doit avoir… une télévision et des couteaux à steak.  Après ça on est en buisness !  
Mais les filles ça prend des affaires qui fitent… Ok mes couteaux à steaks s’agencent très bien avec ma télé mais c’est dû au hasard pas à 26 heures de magasinage.
L’agencement… le calvaire de tous les hommes.  85% de toutes les chicanent de couples commencent avec une question d’agencement… Faut que ça fite.  L’homme faut qui fite dans la gang de la fille pis elle avec les blondes des chums du gars.  Faut que ça fite sexuellement et dans la belle-famille.  Le linge, les horaires, les budgets… faut que ça fite !  Pis le pire c’est lorsque la douce déclare tout bonnement, en regardant la télévision : « Phil, tsé le cadre bleu que j’ai, je pense pas qui va fiter avec la couleur du couloir. »
Un gars, pour régler ce problème aurait tout simplement décrocher le cadre et l’aurait glisser sous le divan.  Mais pour Rebecca, il est plus simple de repeindre le couloir, de repeindre la salle de bain parce que les couleurs ne sont plus dans la même palette que celles du couloir, de changer l’ensemble de serviettes parce qu’il est trop vert pour le rouge de la salle de bain.  Et tout ça, pour finalement donner le fameux cadre à ma mère parce qu’elle en est tombée amoureuse en venant nous aider à nettoyer après la peinture.  Faut que ça fite.
Après 63 heures et demie de peinture, j’ai une couleur de cheveux qui ferait dire à n’importe quel punk-philosophe de la rue Ontario : « Hey man, c’est cool t’es couleurs ça fite ! », Rebecca s’approche de moi.
-    Phil, pour remplacer le cadre que j’ai donné à ta mère on pourrait mettre celui qui est dans le salon.
-    Oui mais il n’est pas de la même couleur que celui d’avant.
-    Je le sais, justement on vient d’appeler pour dire que la nouvelle peinture est prête...
-    Ah Christ Rebbie…
-    Moi aussi je t’aime tsé !
Qu’est ce que je peux rajouter à ça ?
***


Chapitre 20

Juste mon
t-shirt







Ostie que t’étais belle avec tes Adidas gazelle,
tes cheveux longs avec des tresses
qui te pendaient juste qu’au fesses.
- Les Cowboys Fringuants, « Heavy Métal »


Le soleil glisse une plume sur mes paupières.  J’ouvre tranquillement les yeux.  Rebecca dort à mes côtés.  Sans faire de bruit, je me dirige vers la cuisine. 
Ce matin, c’est le Grand Chef Philippe 1er, qui prépare le déjeuner.  Je vais lui faire une omelette « Phil’s Special ».  Des oeufs, des légumes, du bacon, un peu de bière et beaucoup d’amour.
Pour moi, la vie idéale a les mêmes ingrédients.  Beaucoup d’amour, de la bière, du « bacon » en masse pour faire tout ce que je veux, un coin de verdure et des petits « oeufs » pour occuper les soirées où je ne voudrais pas jouer aux fesses.
-    Ça sent bon, qu’est-ce que tu prépares ?
Elle est là, vêtue seulement de mon t-shirt trop grand et de son sourire juste assez grand.  Il n’y a rien de plus joli que ta blonde qui porte seulement ton t-shirt.  Si j’avais le choix entre Julia Roberts vêtu d’un Christian Dior et Rebecca habillée de mon seul t-shirt, je choisirais sans contredit… Julia Roberts.  Mais c’est pour des raisons purement monétaires.
-    J’ai un peu mal à la tête.
-    Je comprends, je crois que hier soir tu t’es pété la tête sur une cave à vin.
Nous avons fêté la subvention que j’ai reçue pour l’écriture de ma Sitcom.  Rebecca m’a juré qu’elle n’avait rien à voir là-dedans.  Je ne la crois pas.  Mais ça ne me dérange pas, je compte ça comme un avantage social.  Mais l’avantage c’est plus de vivre avec elle que la subvention.  Il me reste seulement deux semaines à me lever à trois heures du matin.  Ensuite je deviens travailleur autonome.  Travail à la maison.  Fini l’autobus, fini le décompte des gens qui ont mauvaises haleines le matin.  Fini l’obligation de laisser ma place aux mesdames de quatre cents livres qui prennent plus de place assise que debout.  Fini la demi-heure de trajet pris entre Shiskabab et Macaroni, qui parle au téléphone si fort qu’on se croirait dans une discothèque.  Olé, Olé, Olé, Allah !!!
-    Dans combien de temps le déjeuner sera prêt ?
-    C’est la cafetière qui décide, à peu près dix minutes…
-    Penses-tu que tu pourrais m’enlever mon mal de tête.
Et elle se mordille la lèvre inférieure.
Ma blonde est la seule fille sur cette planète, qui plaide le mal de tête lorsqu’elle VEUT baiser.
Le t-shirt s’est rapidement retrouvé sur le plancher avec le restant de la douzaine d’oeufs, les tomates et quelques patates.  C’est du gaspillage, mais du genre gaspillage « autorisé ».  Les enfants du Tiers-Monde, s’il vous plaît ne m’en tenez pas rigueur !
Il fait chaud dans la cuisine.  Mes lèvres, mes mains, ma langue sont partout et Rebecca  ne pouvant attendre, m’attire en elle.  Le mouvement de va et vient se fait de plus en plus rapide.  Elle atteint l’orgasme et se met à crier en même temps que le détecteur de fumée qui vient de sentir l’omelette brûlée.
-          Phil peux-tu arrêter le détecteur, mon mal de tête revient.
-          Tant mieux !
***

-    Voulez-vous rester à souper ?
-    Moi, j’ai rien de prévu…
On voit que ce Patof c’est tout un acteur.  On jurerait que ce n’est pas organisé.  Comme le soir du déménagement, il n’a pas réussi à repartir avec Lisanne, il est tomber follement amoureux d’elle.  Alors Rebbie et moi avons décidé de l’aider.  Le plan était simple.  Faire venir mon chum à l’appart en même temps que Lisanne (comme par hasard) et les inviter à souper.
-    Moi, je ne le sais pas, je voulais allé au cinéma ce soir.
Patof me regarde désemparé.
-    Nous autres aussi justement, on va avoir le temps d’y aller après le petit souper.  C’est quoi que t’allais voir ?
-    Un film tchèque, version polonaise mais sous-titré en anglais. 
-    Justement le film qu’on voulait aller voir.  On va y aller avec toi.
-    Sentez-vous pas obligé de…
-    On se sent très obligé, mais ça nous fait plaisir !
En même temps, je regarde Patof.  Il m’en doit une !
-    Heille Phil, je vais commencer à couper les légumes, correct.  Parce qu’il faudrait vraiment pas manquer le film de Lisanne.
-    Ben non, Patof, il faudrait VRAIMENT pas manquer le film de Lisanne…
… «que tu comprendras pas et que de toute façon t’écouteras même pas »
***

   Patof s’est offert pour aller reconduire Lisanne chez elle après le film, et elle n’a pas refusé.  C’est bon signe.
   Je marche main dans la main avec Rebecca pour retourner à l’appart.  L’automne commence tranquillement.  Il fait de plus en plus frais.  Rebecca se colle sur moi.
-    Penses-tu qu’ils vont être aussi heureux que nous autres ?
-    On est heureux nous autres ?!?
-    Moi j’ai rarement été aussi heureuse.  Je pense que c’est ça le bonheur.  Pas toi ?
-    Selon moi, le bonheur, c’est comme un rodéo.  Une fois en selle, il faut s’agripper comme il faut parce que si on commence a glisser…
C’est que je deviens philosophe en plus.
-    Toi, est-ce que tu te tiens comme il faut maintenant ?
-    Rebbie, pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?
-    Je me sens bien avec toi.  J’espère que c’est pareil pour toi.
-    Non c’est encore mieux pour moi parce que…
Elle me fixe de ses deux billes bleues.  Je pose mon genou au sol.  Ses yeux sont encore plus grands.
-    …Tu es mon soleil dans la nuit, tu es ma raison d’être.  Tu es la pile qui me fait fonctionner…
Elle me fixe et se met à rire. 
-    Quoi ?!! qu’est ce que j’ai dit ? 
-    Si un jour tu lâches l’humour pour la poésie, mon père à une job pour toi dans sa shop de métal.
Je lève les yeux au ciel et regarde la lune qui sourit. 
« Oukachaka, ouka, ouka, oukachaka,  I can’t stop this feeling, deep inside of me, girl you just don’t realize what you do to me… »
***


Chapitre 21

Toujours
prêt !








But every time I look at the ugly moon,
reminds me of you, reminds me of you…
- Violent Femmes, “American Music”


   C’est tomber sur ma tête comme un avion sur le World Trade Center.  Aucun moyen de prévoir la chose.  On aurait annoncé la découverte de stéroïdes anabolisants dans l’urine de mère Theresa et j’aurais été moins surpris.
-    Phil, je te fais une surprise en fin de semaine.
-    Quoi ?  On va souper, tu m’amènes voir le dernier film de Bruce Willis et on se tape une incroyable partie de fesses  par la suite !
-    Non je pensais qu’on pourrait aller dans les Cantons-de-l’Est, pour faire de la randonnée pédestre et du camping.
Ouch !!!  Aussi bien me dire qu’on va passer le week-end à faire de la bio-chimie nucléaire.  Mes plus grandes connaissances sur le bois me viennent de la visite d’une usine de cure-dents dans l’est de la ville en deuxième année.
-    Georges va nous prêter son équipement pour toute la fin de semaine.
-    Toute la fin de semaine !!!  On part… tr…trois… jours, pis deux… nuits.
-    Oui.
-    En camping.
-    Oui.
-    Juste toi et moi?
-    Oui
-    Sans frigo, sans zapette, sans téléphone cellulaire ?
-    Oui, oui et oui !
-    J’ai tellement… hâte.  Ça va me rappeler le temps où… j’allais presque camper des mois entiers.
-    T’as déjà camper !  Où ?
-    Euh… bon je vais aller appeler ma mère pour lui annoncer la nouvelle.
         Encore une autre fin de semaine où je devrai jouer un rôle de composition.  Badden Powell est mieux d’attacher son foulard comme il faut, parce qu’en fin de semaine ma blonde m’amène manger du conifère…
***

-    Es-tu certain qu’on est sur le bon chemin ?
J’ai quatre cents livres de matériel sur les épaules, j’ai le genou gauche égratigné et ma blonde, en plus de me demander le chemin aux trois minutes, nourrit les écureuils et cueille les champignons.
-    Oui, si je me fie à la carte, le campement va nous sauter en pleine face après le tournant.
-    Euh non !  Après le tournant… c’est un marécage chéri.
         OK, ça va mal !  Je devrai bientôt avouer à la personne la plus importante pour moi, que je suis perdu et pas à peu près, que je suis un misérable citadin qui ne connaît absolument rien à la forêt et surtout que l’on risque de passer le restant de nos jours à dormir sous un sapin à manger des cocottes, des racines et des oeufs d’hirondelles.
-    Pile sur ton orgueil et avoue donc que t’es perdu Phil !
-    Je ne suis pas perdu, je voulais te faire voir ce magnifique… ce splendide… ce merveilleux… ce trou de bouette !  Ok j’sais pus pantoute où on est!
   Un sourire éclaira le fameux trou de bouette.
-    T’as jamais fais de camping.  T’as jamais fais de randonnée pédestre.  Pour toi le mot « Belvédère » c’est plus une sorte de cigarette qu’un endroit avec une vue magnifique.  J’ai demandé à tes amis et ils ne t’ont jamais vu approcher à plus de deux mètres d’un arbre.  Et surtout… je t’aime !
-    OK…  On va mourir ici !
-    Fais-toi en pas.  Pendant deux étés, j’ai donné des cours d’orientation en forêt.  Donne-moi la carte.  OK. Premièrement, elle est à l’envers, deuxièmement, c’est pas du tout la carte d’ici et troisièmement ce que tu prenais pour le campement est une tache du chocolat qu’on a mangé tantôt.
         Une fougère et une épinette ont des crampes tellement ils se foutent de ma gueule.    
***

         C’est parfait, je suis amoureux du pendant féminin de Rambo.
         Jusqu’à maintenant, Rebecca m’a appris à attraper le poisson sans canne à pêche et elle m’a aussi montré à lire une carte topographique (on aurait dû commencer par ça dès le début). Demain, je lui demanderai de m’expliquer comment transformé une branche de bouleau en radio-cassette AM/FM.
-    Phil, tu vois cette grosse étoile qui brille beaucoup.
-    Oui à gauche…
-    Non ça c’est la lune.  Au bout de mon doigt.
-    Ah, OK. 
-    C’est l’étoile polaire.  Si un jour tu es perdu, tu peux te fier sur cet astre pour retrouver ta direction.
         Je ne regarde plus le ciel depuis quelques secondes.  Je fixe Rebecca.
-    Tu sais sur quelle étoile j’aimerais me fier si jamais j’étais perdu, …
-    Il y a juste l’étoile polaire qui est fixe dans le ciel, les autres…
-    …sur toi !
         Elle se tourne vers moi.  Elle va me dire que je suis moi aussi son étoile dans le ciel ou bien que sans moi elle perd le nord ou que je suis moi aussi sa seule étoile ou...
-    Et tu croyais que tantôt tu étais perdu ?!  Ça n’améliora en rien ton sens de l’orientation.
À force de se tenir avec moi, Rebbie perd énormément de son romantisme !
***


Chapitre 22


Restam in pace






Pas besoin de frapper pour rentrer chez moi.
- Jacques Michel


         Fin de semaine de pause.  Rien à faire.  Je suis en avance sur mon échéancier pour ma série télé.  Mes parents sont partis à Cuba.  Et ma blonde est en formation à Toronto.  Alors tout ce qu’il me reste à faire c’est de poser mon fessier sur le divan, lever les pieds, les installer sur le pouf et choisir le film que j’ai envie de regarder.
         L’idéal se serait d’en trouver un que j’ai déjà vu.   Cela permettrait à un de mes yeux de regarder le film pendant que l’autre pourrait facilement inspecter le derrière de mes paupières.
         J’ai déjà de la difficulté à me garder éveillé, lorsque…
         Dring Dring.
-    Salut Phil !?!
-    Hello Patof !
-    Qu’est tu fais ?
-    Rien
-    Tu fais quoi comme rien ?
-    Je fais vraiment rien !
-    Devine ce que je me suis acheté ?
-    Une réplique exacte du sabre-laser de Luke Skywalker !
-    Non, c’est pas ça.  J’ai maintenant un téléphone cellulaire.
-    Ouin pis?  Mon cousin de huit ans en a un.
-    Peut-être, mais devine d’où je t’appelle ?  Je suis avec Georges pis un petit caisson.
-    Je le sais pas Patof, euh… vous êtes chez un maharajah, et tout son harem veut vous rendre service.
-    Penses-tu vraiment que je t’appellerais dans cette situation là...  Non, je suis devant ta porte !
-    J’allais justement partir pour un rendez-vous important…
         Ding Dong !
         Le problème avec les téléphones cellulaires c’est que c’est de plus en plus difficile de mentir à ses amis.
         Avant même que je me sois levé du divan, ils ont envahi le salon et j’ai une bouteille de bière entre les mains.
-    Ta blonde est à Toronto, celle de Georges avait un enterrement de vie de fille au « 281 » et Lisanne est partie voir le nouveau bébé de sa chum de sa fille.  Alors ce soir, on est seuls et tranquilles.
-    Je m’excuse, j’étais seul et tranquille et vous êtes arrivés.
-    Commence pas « choker ».  Ce soir on sort !
         Depuis quelques secondes, Georges fixe le plafond en riant.
-    Qu’est-ce qu’il y a ?
-    Ben je pense à la blonde de Patof qui est aller voir le « nouveau bébé » de sa chum.  J’avais une tante qui a déjà invité ma mère à venir voir le nouveau set de cuisine qu’elle venait de s’acheter.  Il y a ben juste les filles qui se montrent leurs nouvelles affaires comme ça.
-    Je le sais, on les comprendra jamais.
Les hommes sont des êtres caméléons dans leurs propos.  Lorsque nous sommes seuls entre gars nous trouvons les filles stupides dans leurs habitudes profondes, mais aucun de nous oserait déclarer directement a nos amoureuses que leurs manies de gangs de filles sont insignifiantes. 
Alors quand on est pris pour les accompagner, on prend ses sorties comme des moments de qualités passés en couple.  Sortie couple pour aller voir le nouveau frigo de Brigitte.  Sortie couple pour aller voir le nouveau bébé de Julie.  Sortie couple pour aller voir la nouvelle recette de Sophie.  Ouach !
-    C’est quoi votre plan de match pour ce soir, à part briser ma tranquille sérénité ?
-    On pourrait aller veiller dans le Vieux.  C’est Karl Millette le chansonnier aux Deux Pierrot.
-    Bon… correct, laissez-moi changer ma chemise et on est parti.
-    Si ça ne te dérange pas Phil, j’aimerais vous montrer à toi et Patof le nouveau système de son que j’ai installé dans mon char…
Parfois, pour se montrer les nouvelles affaires, les sorties de couples ne sont même pas nécessaires.
***


Chapitre 23

Et ne nous soumets pas à la tentation
mais délivres-nous du mal

Dieu nous a donné un cerveau et un pénis, mais pas assez de sang pour faire fonctionner les deux en même temps.
- Robin Williams



         La place est bondée.  Il n’y a plus aucune chaise de disponible et nous sommes coagulés dans un coin du bar avec nos bières dans les mains.
-    On devrait faire ça plus souvent les gars.  Ça fait longtemps que je n’ai pas eu du fun comme ça.
-    Ben oui  Patof.  C’est tellement le fun !  On est tout pogné.  Ça fait deux fois que Georges boit dans ma bière, le gars en arrière de moi n’arrête pas de me tripoter les fesses, pis j’suis même pas capable de me retourner pour y en câlisser une.  C’est le fun !!!
-    T’es donc ben chialeux Phil.  Regarde le bon côté de la vie.  On est les « boys », il y a de la bière, de la musique et des femmes en masse…
-    T’as oublié de dire de la place…  S’cuse Patof est-ce que tu me gratterais le nez s’il te plaît? Je ne suis pas capable de lever mon bras pour le rejoindre ! 
         Je suis rendu vieux garçon on dirait.  Même si on est au mois d’octobre, il y a autour de moi, tous ce que le printemps traîne dans ses bagages :  des mini-jupes, du houblon et de nombreux soleils. 
         Les filles payent de plus en plus de dollars pour leurs vêtements et elles ont de moins en moins de tissus.  Ça doit être le salaire minimum qui augmente à Taïwan. 
         Moi, mes chums et la majorité des hommes hétéros de la Terre aimerions dire un gros merci aux enfants payés deux dollars par mois et qui sacrifient leur santé et leur vie pour le bonheur de nos sens.  Vive la mondialisation !
***

         Patof et Georges font les imbéciles sur la piste de danse depuis un bon quinze minutes.  Moi, si je ne les ai pas rejoint c’est à cause de… de… du cancer que j’ai dans le genou.  Très douloureux.  Ça m’empêche de danser correctement.  De toute façon, il faut quelqu’un pour surveiller la bière et lorsque Patof s’est approché du plancher de danse, il y a tellement de filles qui l’ont suivi que j’ai maintenant de la place pour respirer.
         À l’autre bout du comptoir une fille, me jette depuis quelques minutes, des coups d’oeil à la dérobée.  Au premier regard, ce n’est pas une laideur.  Pas plus qu’au deuxième, troisième et cent vingt-quatrième regards d’ailleurs.  Elle a un visage parfait.  On dirait une statue de marbre.  Elle est plus bronzée et blonde que le marbre cependant.
         Habituellement, je suis un peu épais avec ce genre de choses.  J’attends que la fille ait sa langue dans mon oreille pour me rendre compte que j’ai peut-être une chance de partir avec elle.  Mais cette fois, je suis presque certain que la statue bronzée d’Aphrodite a l’intention de venir me parler.  Lorsqu’on a une blonde, nos glandes doivent évaporer une odeur qui dit à toutes les filles célibataires : Venez me voir, j’ai une blonde, venez tester ma fidélité envers elle, approchez, approchez ».
-    Où est-ce que vous avez pris vos peanuts ?
         OK, je ne suis pas le seul qui a des phrases d’introductions qui ne font pas automatiquement l’effet escompté.  Je vais lui laisser une autre chance.
-    Quoi ?
-    Vos arachides !  Vous les avez prises où ?
-    C’est bien ce que j’avais compris…  C’est le barman qui les a mises là...
-    C’est pas important.  Je m’appelle Rachel.
-    Moi je m’appelle Phil pis c’est pas important non plus.
         Elle s’installe sur le tabouret à mes côtés.  À la façon dont elle tient ses épaules vers l’arrière, il lui serait impossible de se blesser au nez, même en rentrant carré dans un mur.
-    Je ne pense pas t’avoir déjà vu ici Phil, ça se peux-tu ?
-    Ça fait longtemps que je n’étais pas venu.  Tsé quand t’as une BLONDE, tu ne fais plus RIEN, tu deviens plus du genre… DIVAN.
-    T’as un beau sourire Phil…
         Je croyais pourtant avoir été clair.  J’ai dit les mots « blonde », « rien » et « divan » dans la même phrase.  Normalement, ce serait suffisant pour repousser n’importe quelle fille le moindrement sensé vers une autre planète ou au minimum l’autre extrémité du bar.
-    Tu veux m’offrir un verre Phil ?
-    Il reste de la draft, serres-toi.
-    Avec ma nouvelle teinture de cheveux, je ne suis pas certaine pour la bière…
-    Peut-être si tu te baigne dedans, mais en boire un verre je ne pense pas…
-    Mon ex disait souvent que la draft lui donnait mal aux cheveux.
-    Ha ! Ha ! Ha !
         Je ne l’avais pas venu venir celle là.  Elle est presque bonne.
         Rachel me regarde incrédule.
-    Quoi ?!?
-    La blague des cheveux… elle est bonne !
-    Ah oui !  Je le sais pas… je l’ai pas entendue.
-    Mais c’est toi qui… ah… laisse faire.
         Et voilà, j’ai la pire nouille de la place qui s’intéresse à moi.  À l’exception de Rebecca, au cours de ma vie, les filles qui sont venues de leur plein gré pour me parler étaient soit laides, soit plates, soit nouilles.  Celle-ci est loin d’être laide, elle est quand même drôle, mais point de vue nouille, elle est candidate pour devenir la nouvelle mascotte de Lipton.
         Un de mes deux idiots d’amis ne pourrait pas venir me poser une question imbécile sur la température en Afganistan, le caractère sexuelle d’un serpent dans l’astrologie chinoise ou quelque chose du genre.  Je ne peux même pas m’éclipser pour aller chercher de la bière, je suis accoté au comptoir.
***

         Le plancher de danse est toujours plein, Rachel est toujours belle à côté de moi et moi je suis de plus en plus ivre à côté d’elle.  
-    Est-ce que tu restes loin d’ici Phil ?
-    Pas mal oui, y va même falloir que je parte bientôt.
-    J’ai mon auto, je peux aller te reconduire.
-    Je vais y aller a pied.
-    Mais tu restes loin !
-    Pas si loin finalement…
-    Je vais t’accompagner…
         C’est le genre de situation où il faut répondre par : « c) aucune de ses réponses».
         Je vais devoir être plus clair.
-    Rachel, tu es très jolie…
Un sourire apparaît sur ses lèvres, ce qui la rend encore plus jolie.
-    …mais je ne suis pas libre présentement…
Elle se rapproche de moi, son entre-jambe est collé sur ma cuisse.
-    …malgré le fait que tu es vraiment très jolie…
Si je sortais la langue maintenant, j’aurais peur de lui crever un oeil tellement elle est proche.
-    …j’ai une blonde un peu moins jolie que toi, mais que j’aime plus que tout au monde…
Elle me mordille le lobe d’oreille.
-    …ne t’imagines pas que je suis une proie facile parce qu’elle est partie toute la fin de semaine à Toronto…
Sa bouche est soudain soudée contre la mienne.
-    …Oh MOn dIEu !
Maintenant c’est sa main qui est soudée à mon pénis.
Rebecca !!!
J’arrête le baiser et repousse tranquillement Rachel.
-    Désolé, j’aime ma copine, c’est une personne vraiment extraordinaire, et je ne veux pas briser notre relation pour la bouche la plus habile au sud de Maisonneuve.
         Elle hoche la tête de gauche à droite.  « Ça aurait été si facile de te laisser faire. »  Elle sort un papier et un crayon de sa bourse.
-    Tiens voici mon numéro de téléphone si jamais ta relation extraordinaire devenait extra… ordinaire, justement.
         Sur ce elle m’embrasse sur la joue, se retourne et s’approche d’un jeune étudiant jouant au pool un peu plus loin.  Pauvre lui, il va devoir « pas-résister » à cette déesse !
         Je fixe le papier avec le numéro de téléphone.  Et je ne sais pas pourquoi, au lieu d’en faire une jolie petite boule et de le mettre dans le cendrier, je le fout au fond de ma poche.
         À quoi j’ai pensé ?  Que je m’en servirais pour ajuster une patte de table, que je sauverais un arbre en le recyclant, que je pourrais y enfouir ma gomme lorsqu’elle n’aurait plus de goût ?
         Si je n’avais eu a jeter qu’une chose dans ma vie, c’était ce bout de papier.  Gardons les abajours en macramés, réutilisons les sacs Ziploc mais de grâce faites-moi disparaître ce foutu numéro de téléphone.
***



Chapitre 24

Mon étiquette… c’est ma casquette !






God must hate me, he cursed me for eternity.
- Simple Plan, “ God must hate me”




         Un petit samedi soir tranquille.  Une bonne bouteille de vin et quelques films.  Rebecca a la tête sur mon épaule.  Cela fait au moins trois fins de semaines que nous n’avons pas passé une soirée tous les deux seuls à l’appart.  Il y a eu la fin de semaine à Toronto de Rebecca il y a sept jours.  Avant il y a eu le camping (on était seul mais très loin de l’appart).  Il y a eu aussi le souper avec Patof et Lisanne et avant ça c’était… c’était… je ne me rappelle plus, sûrement une convention des respirateurs d’oxygène du Nord-Est Américain ou quelque chose du genre.
         En tout cas, tout ça pour dire que la soirée s’oriente vers un merveilleux événement tranquille.
         Dring.  Dring.  Eh oui, ce n’est pas le laitier, c’est le téléphone !
-    Helloooo.
-    Bonsoir mon choux, c’est maman.
-    Allo m’an, Ça va ?
-    Oui, j’appelais pour savoir s’il fallait qu’on amène quelque chose pour le souper.
-    Ça dépend où-ce que vous allez souper?
-    Ben chez vous, tu nous a invité à souper la semaine passée en revenant du camping.
-    Euh… ah… oui.  J’ai fait ça moi.
-    Alors, avez-vous besoin de quelque chose ?
-    Beaucoup de temps !
-    Quoi ???
-    Non rien c’est beau, à tantôt.
         Je regarde Rebecca, couchée en petite culotte et t-shirt sur le divan.  Je me sens comme le gars qui a conseillé une décapotable à John F. Kennedy pour son voyage à Dallas.  Je m’installe derrière le divan afin qu’elle ne me saute pas à la gorge
-    Chérie d’amour que j’aime plus que n’importe quoi sur cette Terre, dans ce système solaire et cette galaxie.
-    Oui Phil.
-    J’t’avais parlé que mes parents voulaient bientôt venir souper.
-    Oui on avait pensé à la semaine prochaine.
-    OK.  Le décalage horaire ça te dit quelque chose ?  Ils viennent cette semaine.
-    Quand ?
-    Euh… disons… mettons… ce soir.
-    Oui mais on a rien de prêt, le ménage est pas fait, il n’y a rien a manger, pis m’as-tu vu la tête !!!
« Attention, attention ceci n’est pas un exercice de routine.  Le gouvernement déclare un État de « révolution appréhendée ».  Le pays est désormais sous la loi sur les mesures de guerre.  Je répète ceci n’est pas un exercice »
-    On a une demi-heure.  Je m’occupe vite vite du ménage, on fait livrer du poulet qu’on met dans le fourneau pour faire semblant que c’est nous autres qui l’a fait.  Pis pour ce qui est de ta tête… ben… disons qu’on va concentrer tous nos efforts là dessus !
         Je ne peux m’empêcher de sourire.  Je tente de lui montrer le plus de dents possibles.
-    Moi aussi je t’aime tsé !
         Et une porte claque au fond de l’appartement.
***
        
         Mes parents vont sûrement croiser le livreur dans l’escalier et il ne faut pas qu’ils entrent dans la chambre des invités parce que c’est là que j’ai caché tout mon « ménage ».  Pour ce qui est de la tête à Rebbie…
-    Tu vas pas porter ta casquette à table !?!
-    C’est ça ou j’ai un important rendez-vous chez le gynécologue dans quinze minutes !
-    Elle te fait vraiment bien cette casquette là !
         Ding Dong.
-    Je suis certain que tu es la plus belle hôtesse qu’ils n’ont jamais eu.
-    Phil, scram avant que je t’égorge ! 
         Mes parents sont dans la porte et à voir leurs faces, ils ont sûrement entendu la dernière réplique de ma blonde.  Ma mère fait comme si de rien n’était.
-    Bonsoir les enfants.  Oh que vous avez l’air heureux.  Vous faites donc un beau couple.  Tu trouves pas Rénald qui font un beau couple. Ils nous ressemblent quand on était jeune…
         Lorsqu’elle tente de faire « comme si de rien n’était », on sait tout de suite que tout EST.
         Mon père, comme un sismologue, tente de prévoir l’éruption.
-    Chérie, entre donc, on va pas passer la soirée sur le perron !
-    Ben oui entrez donc.  Beau-papa et belle-maman, bonsoir.
         Je me retourne vers ma blonde.  Son sourire est revenu.  Je lui glisse doucement à l’oreille :  « Tu sais que tu es très jolie quand tu souris ».  Elle s’approche de mon oreille à son tour et me chuchote.
-    Phil ce soir je suis belle pour ta mère, pour ton père, pour le four micro-ondes s’il faut.  Mais surtout pas pour toi !
-    D’accord c’est noté.
         Je remarque pour la première fois que les yeux de ma blonde sont vraiment comme le ciel.  D’un bleu incroyable lorsque qu’elle est de bonne humeur.  Mais même un orage électrique ne rendrait pas le ciel aussi gris que ces yeux lorsqu’elle est… un peu maussade.
         Mes parents ne verront pas qu’elle est en %$&*($%@#, parce que Rebecca est une excellente actrice.  Mais je ne lui remettrais pas un Oscar tout de suite.  Des plans qu’elle m’oublie volontairement dans ses remerciements.
***

         Jusqu’à maintenant, aucun incident majeur.  Ma mère n’a pas posé de question sur la casquette de Rebecca.  Mon père n’a même pas remarqué la casquette de Rebecca.  Et moi, j’aimerais bien savoir ce que Rebecca pense sous cette casquette.
         J’essaye d’amadouer Rebecca.  Je place, j’installe.  Je sers le faux poulet maison, verse le vrai vin de table, cache les vraies-fausses dents de mon père, qu’il a enlever pour mieux nettoyer « la cochonnerie qui a de pognée dedans ».  Je ramasse, je lave, j’essuie.  Ma mère ne me reconnais plus.  Elle vient même me rejoindre à la cuisine pour m’exorciser.  Elle croit que je suis possédé par l’esprit de Monsieur Net.  Je frotte, je range. 
         Aucune réaction de ma blonde.
***

-    Bye Pa, bye M’an.  Bonne fin de soirée.  Revenez quand vous voulez.  Moi aussi je vous aime.  Salut.
         Je referme la porte et fixe longuement le cadrage avant de me retourner.  Je crains les yeux gris-bleus qui me regardent le dos de la tête.
-    Rebecca, je suis vraiment déso…
-    C’est correct Phil.
-    Quoi c’est « correct » ?
-    C’était correct le souper.  Tu t’es bien débrouillé tout seul.  Je n’ai pas eu besoin de rien faire.  Même ta mère avait l’air surprise.
-    T’es pas fâché ?
-    Est-ce que j’ai l’air fâché ?
-    Lorsque tu auras limé tes crocs, rangé ta hache de guerre et enlevé tes couleurs de combat, tu auras l’air beaucoup moins méchante.
         Elle sourit et ses yeux sont bleus de nouveau.  Ses lèvres viennent m’embrasser.  Je commence à éplucher son linge.
-    Phil…
-    Mmmouais ?
-    Avoue que j’te fais peur !
         Ça, ça brise un peu mon beat.
-    Non… euh… pas du tout.
-    Mon chum a peur de moi !  Mon chum a peur de moi !  Na na na na naaa na!
-    Tant qu’a y être y a un énorme panneau publicitaire de libre à la sortie du pont Champlain, tu pourrais l’annoncer là… De toute façon je n’ai pas peur de toi.
-    Mais tu auras peur.  Une fois que je t’aurai violer, juste ici sur le divan...  Tu auras peur.
-    Allez !  Fais-moi peeeeeuuuuuur…  !
         Quel supplice !!!
         On se retrouve à moitié nus sur le plancher du hall d’entrée, lorsque mon père entre sans cogner.  « J’ai oublié mon dentier », il regarde Rebecca qui tente le plus possible de camoufler sa mi-nudité, « belle casquette c’es-tu nouveau ? »
         Mesdames et messieurs, mon Papa !
***


Chapitre 25

Les paroles s’envolent et
les écrits restent



La Vie trouve toujours son chemin.
- Stéphane Bourguignon


-          C’est quoi ça ?
Elle me fixe de ses yeux, soudain gris.  Au creux de sa main, il y a un papier tout chiffonné.  Il a sûrement fait un voyage dans la laveuse.
-    Je ne sais pas, euh… une télé couleur ?
-    Non !  Il y a un numéro de téléphone.
-    Ben tant mieux, on va pouvoir appeler la personne pour lui dire qu’on a retrouvé son papier.
-    Phil, t’es donc ben épais, c’est un peu effacé mais c’est le numéro de téléphone de quelqu’un,  d’une fille !
Je prends le papier, il est tout mou et humide entre mes doigts.
« Si t’as **vie de m’embra*ser enc*re, Ra*hel  8*8-*525 »
-    C’est pas ce que tu penses.
-    C’est quoi que je pense Phil.
C’est vrai, c’est quoi qu’elle pense ?  Elle croit que je l’ai trompé.  Elle croit que c’est une ancienne cousine que j’ai revue.  Elle croit que Rachel est un gars. 
Elle croit peut-être que je patine beaucoup présentement.
***

Elle est partit coucher chez Lisanne, en criant à qui mieux mieux que « j’étais l’homme le plus dégeulasse de la planète ».  Évidemment, Patof s’est retrouvé chez moi.
-    Pis qu’est ce que tu vas faire ?
-    Me trouver un divan confortable et recommencer à manger du Cheez Whiz.
-    Ben voyons donc ! Pas déjà…  laisses-toi une chance !
-    Je vais pleurer d’abord.
J’éclate en sanglots.  Patof me regarde, il ne sait pas quoi faire.  Il me passe maladroitement un bras par dessus l’épaule.  Il essaie de faire des blagues.  C’est le genre de situation qu’aucun gars aime vivre.  Un de tes chums qui pleure.  Tu sais pas quoi dire, tu voudrais le prendre dans tes bras, le serrer fort.  Lui dire qu’il peut compter sur toi, que tu vas être prêt à faire tout ce qu’il aura de besoin.  Que tu l’aimes.
Mais ça, ça fait fif en crisse !
On a tellement peur d’avoir l’air émotif devant le monde.  D’habitude un chum pleure, on le sert dans ses bras on lui dit qu’on l’aime.  Mais après on rajoute : J’en parlerai pas que t’as pleurer.  T’es pas obliger de dire que je t’ai pris dans mes bras.
Selon moi, c’est à partir de là qu’on est le plus fif.
***

   Trois jours qu’elle est partie.  Je sais où elle est, parce que Patof est encore ici.  Je m’ennuie d’elle, de ses yeux, de son sourire, de son mauvais caractère.  Le téléphone couche à côté de moi.  J’aimerais qu’elle appelle.  Je pourrais lui dire que je l’aime, que j’aime lorsqu’elle est près de moi, que je voudrais la serrer fort dans mes bras, que sans elle je suis comme Robin sans Batman, je braille tout le temps.  Et que surtout je ne suis pas vraiment un écœurant.
***

   Patof raccroche le téléphone lorsque je rentre dans la pièce.
-    Qui est-ce que t’as appelé ?
-    Euh… le dépanneur sur le coin de la rue.
-    Pourquoi ?
-    Euh… pour savoir si c’était ouvert.
-    C’est ouvert vingt-quatre heures, sept jours sur sept !
-    Ben… c’est ce qu’ils m’ont dit.  Viens-tu avec moi je vais aller prendre une bière en quelque part.
-    Pis si Rebecca appelle ?
-    Viens t’en, tu commence à avoir des idées fixes.
Un vieux fauteuil a reçu nos postérieurs au Ste-Élisabeth.  Je n’ai pas tellement l’esprit à la fête.  Patof semble nerveux, il n’arrête pas de regarder sa montre.
-    « J’vais aller chercher d’autres bières. » qu’il me dit en se levant.
-    Eille le bar est sur l’autre bord…
Elle est là.  Avec Lisanne.  Patof s’approche de sa blonde et l’amène à une table plus loin.  Je regarde les yeux de Rebecca.  Elle a pleuré.  Elle essaie de faire un sourire.  Un petit sourire de rien du tout.  Ce n’est pas grand chose comparé à ce qu’elle peut faire, j’en sais quelque chose.
-    Allo, Phil… ça file ?
-    Salut Rebecca… ça va ?  Il n’est rien arrivé avec cette fille, cette Michelle…
-    Rachel !
-    S’cuse Rachel.  Il ne s’est rien passé.  Si tu enquêtes, tu apprendras qu’elle a couché avec un joueur de pool de 17 ans…
-    Je m’en fout.  De toute façon Patof m’a expliqué…  C’est correct… Je ne t’ai pas écouté, j’aurais dû te faire confiance et…
Elle s’approche de moi, je la sers dans mes bras tellement fort que je sens son coeur battre contre le mien.  « T’es trop importante pour moi, je viens de passer les pires trois jours de ma vie.  J’avais de la misère à respirer tellement je m’ennuyais »
-          Peut-être parce que tu pleurais trop !
-          J’ai pas pleurer… ben… un peu… beaucoup !  Je t’aime.
-          Moi aussi, encore plus que tu l’imagines.
-          Fais attention j’ai beaucoup d’imagination.
Je m’approche de Patof qui a sa langue dans l’oreille de Lisanne.
- Eehumm…
Patof lève les yeux vers moi.
-    Merci à vous deux…  Si c’était pas de vous je serai une belle patate de divan à l’heure qu’il est.
-    Si vous étiez pus ensemble avec qui on serait allé écouter des films tchèques?  Dis-toi qu’on est quitte, on s’est chacun présenté l’amour de notre vie…
-    L’amour de ta vie ? répète sa Lisanne flattée.
Patof me tape sur l’épaule, je me dirige vers la sortie où m’attend la fille avec un merveilleux sourire et des morceaux de ciel à la place des yeux.
***



Chapitre 26

Et c’est
le but !






Le bonheur ne fait jamais Vroum, Vroum !
-          Pierre Foglia.

  
   C’est tombé comme de la neige au mois de juin.  Rien n’annonçait ce cataclysme.  On m’aurait dit : « Ramasse tes affaires, pis crisse ton camp ! » que je n’aurais pas été moins surpris.
   C’est tombé pendant une quelconque partie de hockey entre le Canadien et les Flyers.  Rebecca est venue me rejoindre sur le divan.  Surprenant car elle déteste le hockey.
-    Qui est ce qui gagne ?
-    C’est 3-3 pis y reste quatre minutes.
-    Ah…  Tu trouves-tu que je suis différente depuis quelque jours ? 
-    Non, pas vraiment.  À part aujourd’hui, tu écoutes le hockey, ce qui est tout a fait différent.
Pourquoi est-ce que les filles choisissent toujours le moment fatidique de la partie de hockey pour venir nous parler ?  Elles ne viennent jamais lorsque la partie est 8 à 1 ou pendant l’entracte.
-    Phil ?
-    Quoi ?
« Koivu s’empare de la rondelle… »
-    J’aurais quelque chose à te dire.
-    Mmm ?
« Il passe le disque à Brisebois… »
-    Je suis allée chez le médecin aujourd’hui.
-    Mmm ?
« Qui retourne la rondelle à Audette… »
-    Il m’a dit que j’avais maintenant le devoir de m’occuper de…
-    Mmm ?
« Audette passe à Quintal, qui lance… »
-    … ce qui poussait tranquillement dans mon ventre.
-    Quoi ?!!!!?
-    Phil… je suis enceinte.
« Et c’est le but !!! »
***

Je vais être papa.  Je suis prêt à vivre cette aventure qu’est celle d’être parent.  J’ai une blonde que j’aime et surtout qui m’aime.  J’ai signé un contrat avec un gros producteur pour ma Sitcom.  Le bébé, c’était la prochaine grosse étape de toute façon.  Surtout que je n’ai pas l’intention de m’acheter une voiture. 
L’amour c’est comme les montagnes russes. C’est une grosse montée, au départ, ensuite c’est une série de haut et de bas.  Je crois qu’un bébé c’est un « haut ».  Un gros « haut » en plus. 
C’est merveilleux, c’est ce qui fait d’un vieil ado un  adulte.  Avoir quelque chose dont on a la responsabilité.  Pas quelque chose de matériel.  Un être, en chair et en os.  Une bébite que l’on doit nourrir, coucher et nettoyer.  Une bébite qui trop vite sera quelqu’un qu’il faudra protéger.
Plus question de changer de boulot, plusieurs fois.  Maintenant je serais père pour le restant de mes jours.  Un peu scripteur aussi, mais ça sera ma job à temps partiel.
Pendant sa vie, il va sûrement avoir des hauts et des bas.  Mais je serais toujours là, pour lui donner ce qu’il a besoin.  De l’amour, un endroit où coucher, et quelque chose à manger.
Amour, Divan et Cheez Whiz, ouaip…

AMOUR, DIVAN ET CHEEZ WHIZ…
***









« La vie c’est juste ça et…
 c’est tant mieux »
Snick

































Version
Terminée d’écrire
à Montréal
le 6 août 2003
©Nicolas « Snick » Boucher